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Surprise au milieu de la nuit, par un accès plus violent, elle serait morte sans les secours de la religion… ; mais votre ardente charité a bravé toutes les craintes ; merci pour elle, mon père ; elle est là, sous ces rideaux, brisée par la fièvre qui l’a surprise comme elle tressait des fleurs pour son hymen. Mon père, cette jeune enfant, c’est ma fille !… Je la laisse avec Dieu et son ministre !…

Frère Ambroise était seul avec l’agonisante ; il se dirigea vers le lit de la malade.

— C’est le Seigneur qui vient à vous, mon enfant ! le doux père des mansuétudes célestes ; priez-le. La jeune fille fixa le moine et répondit :

— Serais-tu mon bien-aimé ou bien son ombre ? Dis-moi, Alphonse, serions-nous dans les bocages de la mort ? Parle : Il y a si long-temps que je l’attendais ! Qu’as-tu fait pendant ton absence ? D’autres l’auront aimé ?… Mais approche-toi… ; viens plus près.

La malade saisit la main du religieux.

— Tu sais, lorsque mariés secrètement, il te fallut me quitter. Oh ! depuis ce jour bien des malheurs m’ont accablée !… Triste de ton absence, je fuyais les fêtes et le plaisir. J’allais souvent au bord de la mer ; et là…, les yeux fixés vers l’orient, je m’unissais à toi par la pensée. Je me disais : « Il est seul, proscrit, abandonné !… Et j’invoquais mon bon ange, pour qu’il te portât mes paroles de consolation !.…

Hélas ! mon ami, on me fit un crime de ma solitude ; on m’ordonna d’être joyeuse !… Et mon père me dit un jour : « Maria, songez à bien accueillir le prince S… Je veux qu’il soit votre époux. » Je crus que quelque mauvais esprit avait emprunté la figure de mon père !… Alphonse, ce n’était point une vision.

Je fus obligée de supporter les attentions d’un homme que je ne pouvais aimer sans crime. Alors, le désespoir s’empara de mon cœur ; je vis l’abîme profond où j’étais plongée !…