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cèrent des exercices à quatre, à huit, à douze temps, suivis d’une multitude d’évolutions de toute espèce et plus difficiles les unes que les autres, C’était à ne pas y croire. Le maire, son épouse et ses enfants élaient plongés dans l’ivresse d’une joie folle, et applaudissaient tout à la fois au talent des élèves et à l’habileté du maître. Pour moi, le triomphe de ces puces me causait je ne sais quelle jouissance secrète. J’étais heureuse de les voir prouver, par des faits aussi éclatants, à des individus de l’espèce humaine, que nous ne sommes pas aussi indignes de considération qu’ils le pensent d’ordinaire, et qu’il ne faut jamais mépriser ceux que l’on croit plus bas que soi, parce que le talent est de tous les rangs et de toutes les conditions.

Pendant que je me livrais avec plaisir à cette idée, ma mère s’approcha de moi, m’embrassa avec tendresse et me tint, à demi-voix, le petit discours suivant :

— Écoute-moi, ma fille, tu sais combien je t’aime ; tu sais que désormais tu es le seul bien qui me reste au monde, et que si je venais à te perdre d’une manière ou d’une autre, il me faudrait mourir à mon tour de douleur et de désespoir. Or, je l’avoue que je ne suis pas tranquille : tu es trop frêle, trop délicate pour ton âge, et d’un autre côté, tu n’es pas assez exercée à ces mille et une petites évolutions qui ont pour but de tromper la vigilance des hommes et d’éviter leur poursuite. Il te faudrait un peu de gymnastique pour remédier à la fois à ces deux défauts, en donnant de la force et de la souplesse à ton corps. Donc, l’occasion étant des plus favorables, je te verrais avec plaisir t’engager dans la troupe de cet excellent industriel, où tu trouveras des compagues de ton âge avec qui tu pourras sympathiser à merveille. D’ailleurs, sois tranquille ; ta mère ne t’abandonnera