Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 117 —

Tel que vous me voyez, Monsieur, j’ai joui d’une jeunesse brillante, et…

— Je le crois volontiers ; mais venons au fait, s’il vous plaît.

— J’y suis, M. le maire. J’avais donc l’honneur de vous exposer comment mes jeunes années se sont écoulées au milieu des douceurs d’une tranquille existence et parmi tous les plaisirs que peut offrir une heureuse médiocrité. Hélas ! Monsieur, la roue de la fortune est bien inconstante ; et, privé aujourd’hui de tout ce bonheur dont je jouissais autrefois, je suis réduit à m’écrier avec le poète : O mihi præteritos referat si Juppiter annos !

— C’est très-bien, mon cher Monsieur ; mais si vous vouliez parler un peu du sujet de votre visite, heïn ?

— J’y arrive, illustre appui de la veuve et de l’orphelin ! Or, il faut que vous sachiez que quand je me vis ainsi le jouet des caprices du sort, je délibérai un instant si je ne me donnerais pas la mort plutôt que d’accepter l’infortune ; mais après avoir bien réfléchi, je compris que le suicide était l’œuvre d’un lâche, et j’accueillis bravement l’adversité qui me tendait les bras…

— Vous ne dites toujours pas…

— Permettez, M. le maire. — Cela considéré, je me suis dit : Si l’on ne se tue pas, il faut vivre, Comment faire ? Je ne sais pas travailler, et d’un autre côté, je rougirais de servir dans quelque maison comme domestique, Donc, tâchons de nous créer une industrie : nous ne travaillerons point comme un vil mercenaire, et nous ne dépendrons que de notre talent et des autorités constituées. — Saluez, mon épouse !…