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du monde. Le génie est comme l’éclair qui, avant de percer le nuage, grandit obscurément dans ses flancs.

Pourtant, quelque vulgaires qu’aient été ces premiers jours de mon existence, je ne puis, à l’heure qu’il est, y penser encore sans émotion. Bien des fois, au milieu de ma carrière, aux époques les plus glorieuses de ma vie, je me suis prise à regretter ce temps fortuné du jeune âge où le cœur sommeille, où l’âme, livrée à de pures et naïves jouissances, s’absorbe tout entière dans la contemplation du présent, sans souvenir du passé, sans crainte de l’avenir ; où les passions (et qu’on ne s’y trompe pas, les puces n’en sont pas exemples), où les passions, dis-je, n’ont point encore troublé de leurs flots impurs et limoneux cette source d’eau vive cachée au fond de notre cœur. Heureux temps ! qu’êtes-vous devenus ?


O mihi prœteritos referat si Juppiter annos !

Que cette citation latine qui se trouve ici sous ma plume ne cause aucun étonnement au lecteur. J’ai songé qu’une puce de qualité devait ressembler de toute manière aux hommes de qualité, c’est-à-dire savoir un peu de tout en général, mais presque rien de chaque chose en particulier. Aussi mes connaissances en latin ne dépassent-elles pas ce que je viens de citer : on va voir, du reste, à quelle école j’ai puisé cette simple notion.

C’était au commencement de décembre 1809. Dix mois s’étaient écoulés depuis ma naissance, et déjà ma mère voyait avec plaisir se développer dans ma jeune intelligence les germes de sagesse, d’instruction et de vertu qu’elle y avait jetés avec tant d’ardeur, Une seule chose l’inquiétait : comme la nature avare reprend toujours d’un côté ce qu’elle donne de l’autre, mon esprit trop précoce ne s’était agrandi qu’aux