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plus triomphante que l’impératrice elle-même, au milieu des ovations de la capitale. Au demeurant, tous deux, mari et femme, étaient d’honnêtes et dignes personnes. Ces petits travers mêmes de la vie publique n’envahissaient jamais la famille. À peine M. le maire avait-il déposé l’écharpe tricolore, qu’il reprenait ses mœurs patriarcales ; madame son épouse s’occupait de la cuisine ou raccommodait le linge, et l’illustre magistrat, tout en réglant le compte de ses fermiers, ne dédaignait pas d’administrer, de temps à autre, de ses augustes mains, le fouet à son petit garcon, ainsi que doit le faire tout honnête père de famille.

Tels sont les nobles personnages parmi lesquels s’écoulèrent paisiblement les premiers et les plus beaux jours de ma longue existence. J’ajouterai, pour compléter le tableau, que les deux joufflus d’enfants, outre beaucoup d’autres précieuses qualités, étaient doués d’une merveilleuse apathie dont rien ne pouvait les tirer, et qui leur faisait endurer avec une patience stoïque toutes ces petites contrariétés qui résultent pour les individus de l’espèce humaine de notre contact avec eux. Ma mère, avec la perspicacité que le lecteur lui connaît déjà, avait fait cette remarque dès le premier jour, et ce fut l’espoir de trouver facilement et sans danger, en ces lieux, une nourriture saine et abondante pour elle et sa fille qui la décida à y faire un plus long séjour qu’elle ne l’avait résolu d’abord.

Je n’entrerai point, au sujet de mon enfance, dans des détails qui deviendraient fastidieux. Cette première partie de ma vie n’eut rien d’extraordinaire, et si cet aveu pouvait surprendre quelqu’un, je prierais de remarquer qu’il en est presque toujours ainsi des illustres personnages que le sort destine à jouer plus tard un rôle immense dans les affaires