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ne veut pas connaître. « Ces chimpanzés, descendez-les sans regret ! » imprimait un journal de Port-Jackson.

Tu peux tuer cet homme avec tranquillité !

Les gazettes de Sydney expliquaient : « Fauves ou aborigènes, c’est tout un. Vous les dites inoffensifs ? Qu’on les laisse dépérir par la diminution de leurs moyens de subsistance. Vous les dites féroces ! Qu’on les supprime ! »

La cause était entendue. L’opinion publique avait prononcé. Des expéditions furent organisées par les colons qui empruntaient à l’administration une ou deux compagnies de réguliers. On surprenait un campement ; en un tour de main, on abattait hommes, femmes, enfants. Avec leur peur des esprits, ces pauvres gens n’osaient bouger dans l’obscurité ; l’on en profitait pour les massacrer plus à l’aise. Puis les journaux tels que le Colonial Times racontaient avec satisfaction :

« Il y a huit jours, les habitants de la seconde division occidentale ont expédié quantité de noirs. Tandis qu’ils étaient groupés autour de leurs feux, les colons et nos soldats les canardèrent à dix pas. »

On avait d’abord employé les galériens comme rabatteurs. Du Petit Thouars raconte que des convicts furent acquittés après avoir brûlé vifs des indigènes. Dans les cabarets à Bowen, Townsville et Cooktown, on se vantait des sauvages qu’on avait tirés comme lièvres. Le dimanche, les jeunes sportsmen couraient le nègre. De dix lieues à la ronde, les messieurs arrivaient, accompagnés de chiens et de forçats, fouillaient les buissons. Quelquefois on revenait bredouille, le plus souvent on abattait un homme ou deux, on cassait la tête à une lubra, on écrasait ses gosses. Entre-temps des amateurs dressaient leurs mâtins à manger de ce gibier, gratifiaient l’indigène de pain à l’arsenic, de brandy additionné de mort aux rats ou de couvertures contaminées par des maladies contagieuses. Pour se débarrasser des riverains du Hunter, on eut recours au sublimé corrosif, et près de Bathurst à des barils de farine empoisonnée. Un squatter recourait à la strychnine. Des colons, apprenant que le naturaliste Lumholtz collectionnait dans leurs parages, lui offrirent de tuer des sauvages pour le fournir de crânes.

Après quelque temps, la négraille ne se laissait plus surprendre, se mussait dans les bois ; mais on flairait sa présence et cela gênait. Un maître policier qui s’était bien trouvé d’avoir pris les noirs pour guides dans une chasse à l’homme, imagina de créer un corps de Bachi-Bouzouk, commissionné pour la « répression des délits agraires » ou plus exactement, pour l’extermination des délinquants. En quelles conquêtes l’étranger n’a-t-il pas profité d’une guerre civile ou de haines entre frères et conci-