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la société nouvelle

du bois et arroser leurs pauvres cultures, les émancipés étaient obligés en fait de travailler pour les seigneurs et supportaient les impôts qui pesaient autrefois sur ceux-ci. Les récoltes étant insuffisantes pour nourrir les familles de paysans, les femmes et les jeunes filles devaient partir à la ville pour chercher à s’y placer. Le plus grand nombre ne pouvant trouver de travail finissaient par entrer dans les maisons de « prostitution », ou chercher des hommes dans les rues ou les jardins publics. La police russe, non moins brutale que la police française, lançait ses agents des mœurs sur ces malheureuses et les soumettait au numérotage ainsi qu’à la visite du médecin. Cette oppression scandaleuse de malheureuses réduites par les conditions sociales à la vente de leur corps n’existe pas en Angleterre ; ce monarchique pays ne dépense pas, comme l’autocratique Russie et comme la républicaine France, des sommes considérables pour l’entretien d’inutiles agents des mœurs ; les femmes même prostituées y sont laissées entièrement libres.

Les policiers russes font montre d’une barbarie rare. Les prostituées sorties de l’hôpital ou de la prison peuvent être renvoyées par eux dans leur commune natale où elles sont sévèrement punies par les autorités. Leur vie devient un enfer ; apportant dans les familles des maladies mal guéries, elles subissent toutes sortes de mépris et de vexations. Toute leur vie, elles ont à lutter contre leurs parents et leurs voisins. S’expatrier, partir loin de la localité, elles ne le peuvent. Ce n’est qu’après le consentement du mari ou du père que la commune leur délivre un passeport valable pour un an au maximum.

Les paysans russes ni leurs femmes ne possèdent presque jamais d’argent. En général, ils échangent mais ne vendent pas. Lorsqu’ils travaillent, soit pour le seigneur, soit pour un bourgeois, soit pour une autre commune, ils prennent pour rémunération de leur travail les objets ou les aliments qui leur manquent.

Dans les campagnes, les parents marient leurs fils le plus tôt possible, dans le but d’avoir auprès d’eux des aides qui leur rapportent. En général, ils ne vont pas chercher au loin, la plupart choisissent parmi les filles du village même ou des villages voisins. Ils connaissent dans ses plus petits détails la vie antérieure de la fiancée. Par une ancienne coutume, commune à d’autres peuples, pour s’assurer que la jeune fille avait jusqu’alors conservé sa virginité, on exposait après la première nuit de noces sa chemise pour la montrer aux invités. Cette habitude existe non seulement chez les paysans, mais aussi parmi les classes plus élevées de la ville. La femme qui ne pourrait donner ce témoignage matériel de sa vertu, serait toute sa vie en butte à toutes sortes de vexations. Une jeune paysanne