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Et, vous sentant pleins de tendresse pour toute la terre,
Vous regretterez chaque moment qui passe,
Devenus plus attentifs à la fuite des douces journées,
Alors souvenez-vous un peu de moi, je vous prie,
Du vain chanteur d’une journée désœuvrée.

Le lourd souci, l’égarante inquiétude
Qui nous écrasent, nous qui vivons et gagnons notre pain,
Ces vains vers n’ont pas pouvoir de les déplacer.
Donc laissez-moi chanter les noms remémorés
De ceux qui, ne vivant plus, ne peuvent jamais mourir,
Ni abolir pour longtemps leur souvenir
En nous, vains chanteurs d’une journée désœuvrée.

Rêveur de rêves, né hors de mon temps,
Pourquoi m’efforcerais-je à redresser ceux qui sont estropiés ?
Qu’il me suffise que mes rimes murmurantes
Battent d’aile légère contre la porte d’ivoire,
Contant un conte qui ne soit pas trop importun
À ceux qui vivent dans la région ensommeillée,
Assoupis par le vain chanteur d’une journée désœuvrée.

Les gens disent qu’un sorcier montra jadis à un roi du Nord,
Au temps de Noël, de si merveilleuses choses,
Que par une fenêtre on voyait naître le printemps,
Et par une autre se consumer l’été,
Et par une troisième mûrir en rang les vignes,
Tandis que toujours, comme d’habitude, mais sans être entendu,
Sifflait le vent triste de cette journée de décembre.

De même en est-il de ce Paradis Terrestre,
Si vous voulez bien me comprendre et me pardonner,
À moi qui m’épuise à bâtir une ombreuse île de bonheur
Au milieu des chocs de la mer d’acier
Où sont ballotés tous les cœurs des hommes
Et dont les monstres dévorants ne seront égorgés que par les forts,
Non par le pauvre chanteur d’une journée désœuvrée.


Ce vain chanteur était en réalité un rude lutteur. M. Jean Lahor l’a ainsi défini : « M. William Morris, à la fois poète de premier ordre, maître-verrier, ornemaniste et décorateur par-