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parti de se présenter devant vous en toute amitié et de vous offrir un festin, dans le dessein de profiter de votre état d’ivresse ou de votre sommeil pour vous attaquer par le fer et par le feu. La preuve que je suis bien informé, c’est qu’on vous a conduit dans un magasin à blé, et cela pour la raison que Thorolf ne voulait point incendier son habitation toute neuve qu’il avait fait édifier au prix de beaucoup de difficultés. Une autre preuve en est que chaque place regorgeait d’armes et d’armures. Or, s’apercevant qu’ils ne parvenaient pas à vous surprendre par la ruse, ils s’arrêtèrent au parti qui leur parut le meilleur : ils renoncèrent complètement à pareil projet. Tous, je pense, s’efforcent de dissimuler ces intentions, car peu d’entre eux, à mon avis, seraient reconnus innocents, si la vérité était dévoilée. Or donc, ô roi, si je peux te donner un conseil, prends Thorolf à ton service, admets-le dans ta suite, fais-lui porter ta bannière et place-le à la proue de ton vaisseau[1] ; c’est le rôle pour lequel, parmi tous les hommes, il convient le mieux. Si toutefois tu veux qu’il soit vassal, donne-lui en apanage le pays des Firdir, dans le Sud. C’est là qu’habite toute sa famille, et c’est là qu’on pourra veiller à ce qu’il ne devienne trop puissant. Quant à l’administration du Halogaland, confie-la à des hommes modérés et justes qui te serviront loyalement, qui ont de la famille ici et dont les parents ont jadis exercé les mêmes fonctions en ce pays. Mon frère et moi, nous sommes disposés et prêts à remplir telle charge que vous voudrez nous confier. Notre père a long temps, et à la satisfaction générale, administré cette région. Il vous sera difficile, ô roi, de trouver des hommes qui sachent diriger les affaires, attendu que vous ne viendrez que rarement ici en personne. La région n’est pas assez importante pour que vous la visitiez avec votre armée ; d’autre part, ne venez pas trop souvent ici en compagnie peu nombreuse, attendu qu’il s’y trouve beaucoup de gens animés de dispositions perfides. »

Le roi, en entendant ces paroles, se mit dans une grande colère ; mais il parla avec calme, comme il avait toujours l’habi-

  1. C’était la place d’honneur réservée aux plus vaillants, mais aussi la plus dangereuse en cas de bataille, l’attaque de l’ennemi se faisant par la proue du bateau.