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eux régnait l’amitié la plus intime. Quand ils rentrèrent de leurs expéditions, Kari regagna sa propriété de Berdla. Il était excessivement riche et avait trois enfants : un de ses fils s’appelait Eyvind Lambi, l’autre Ölvir Hnufa ; la fille, Salbjörg, était une personne d’une belle prestance et d’une grande énergie. Ulf l’épousa et retourna aussi dans son domaine. Il était riche à la fois en terres et en biens meubles ; il se fit octroyer la qualité de feudataire[1], ainsi que ses ancêtres avaient fait et devint un personnage puissant. On raconte qu’il s’occupa activement de culture. Il avait l’habitude de se lever de bonne heure pour surveiller les travaux de ses gens ou bien pour aller à ses forges, et de visiter son bétail et ses champs. Parfois aussi il s’entretenait avec ceux qui avaient besoin de ses conseils ; il s’entendait à faire d’excellentes recommandations, car il était très avisé. Mais chaque jour, à l’approche du soir, il devenait d’un abord difficile, si bien que peu de personnes parvenaient à lier conversation avec lui. À la tombée de la nuit, il était pris de sommeil. Le bruit courait qu’il avait la faculté de se métamorphoser[2]. On l’appelait Kveldulf.

Kveldulf et Salbjörg eurent deux fils ; l’aîné s’appelait Thorolf et le cadet Grim. Ils grandirent et devinrent tous les deux des hommes de taille et de force, comme leur père. Thorolf se distinguait par sa beauté et sa bravoure et ressemblait aux parents de sa mère. Il était d’un tempérament fort joyeux, énergique, très entreprenant en toutes choses et d’une grande vivacité.

  1. Le Nord scandinave possédait, sous le nom de veizla, une institution correspondant au bénéfice et comportant l’octroi d’une terre de la couronne. Il connaissait aussi le fief proprement dit (lén) ; mais, en règle générale, celui-ci se présentait sous un aspect particulier. Il n’était ni héréditaire, ni même irrévocable et des dispositions fixes en marquaient l’étendue. Les feudataires (lendir menn) — les hersir de l’époque antérieure à Harald (deuxième moité du IXe siècle) — étaient des chefs de district. Ils tenaient leur pouvoir du roi et jouissaient de certaines prérogatives qui leur conféraient un rang élevé dans la hiérarchie sociale. Leurs obligations et leurs droits étaient définis par la loi.
  2. La croyance populaire attribuait à certaines personnes la faculté de se métamorphoser et d’entreprendre sous la forme d’un animal des pérégrinations nocturnes. Cette croyance a survécu dans le Nord ; par son origine, elle se rattache aux légendes mythiques des loups-garous.