Page:La Saga du scalde Egil Skallagrimsson, trad. Wagner, 1925.djvu/284

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 254 —

« Ne soyez pas fâchée, » dit Egil, « si je m’accroupis au coin du feu ; entendons-nous pour la place. »

« Lève-toi, » continua-t-elle, « va à ta place et laisse-nous faire notre besogne. »

Egil se leva, retourna à sa place et dit :

Je déambule, aveugle, autour des bûches.
Je prie la femme d’être indulgente
À cause de l’infirmité
Dont souffrent mes yeux.
Le roi, si hautement considéré à cause de ses terres[1],
Et qui naguère prenait plaisir à entendre mon chant,
Me comblait de joie
Par ses présents et son or.

Une autre fois encore, Egil s’approcha du feu pour se chauffer. Quelqu’un alors lui demanda s’il avait froid aux pieds et lui recommanda de ne pas les étendre trop près de la flamme.

« Je ferai ainsi, » dit Egil ; « mais il ne m’est plus facile de diriger mes pieds ; je ne vois pas, et la cécité procède avec lenteur. »

Et il continua :

Le temps me paraît long.
Me voilà couché, tout seul,
Pauvre vieillard,
Loin de la protection d’un roi[2].
J’ai deux veuves[3]
Très froides,
Et ces femmes
Ont besoin d’être chauffées.

Vers la fin du règne de Hakon le Puissant[4], Egil Skallagrimsson avait près de quatre-vingt-dix ans[5]. Il était encore de solide constitution, si l’on excepte la perte de la vue. Dans le

  1. Il s’agit du roi Adalstein d’Angleterre.
  2. Allusion aux bons rapports qu’il eut jadis avec le roi Adalstein.
  3. Il veut dire : ses deux pieds. L’expression provient d’un jeu de mots intraduisible.
  4. Le jarl Hakon le Puissant usurpa le trône de Norvège après la mort du roi Harald Grafeld, « fils de Gunnhild » (vers 969). Il fut chassé à son tour par le roi Olaf Tryggvason (en 995) et tué un peu plus tard par ses propres esclaves.
  5. Vers 982.