Page:La Saga du scalde Egil Skallagrimsson, trad. Wagner, 1925.djvu/268

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 238 —

vers les terres marécageuses. À cette vue, Grani poussa précipitamment ses bêtes en avant jusqu’à ce qu’il atteignît une place où l’on avait l’habitude de les traire. Thorstein le poursuivit, le rejoignit à l’entrée de l’enclos et l’y tua. Ce pré clôturé s’appelle, depuis lors, Granahlid. Thorstein jeta sur Grani des débris de la palissade et recouvrit ainsi son corps[1]. Ensuite, il rentra chez lui, à Borg. Des femmes qui se rendaient à l’enclos trouvèrent Grani gisant par terre. Aussitôt, elles retournèrent à la ferme pour dire à Steinar ce qu’elles venaient de constater. Steinar ensevelit Grani sur une éminence rocheuse et remit à un autre esclave, dont le nom n’est pas connu, le soin de veiller au troupeau. Pendant tout le restant de l’été, Thorstein se comporta comme s’il ne savait rien de la pâture. Or, il arriva que Steinar, au commencement de l’hiver, s’en alla sur le rivage de Snaefell, où il s’arrêta pendant quelque temps. Il y vit un esclave qui s’appelait Thrand ; c’était un individu d’une taille et d’une force peu communes. Steinar demanda à acheter cet esclave et en offrit un prix élevé. Mais le propriétaire en estima la valeur à trois marcs d’argent, moitié plus cher qu’un esclave ordinaire. Le marché fut conclu et Steinar ramena l’esclave avec lui dans sa ferme.

Quand ils arrivèrent à la maison, Steinar dit à Thrand : « Maintenant, le moment est venu de faire un peu de besogne pour moi. Comme tous les autres travaux sont déjà répartis, je vais t’imposer un ouvrage qui ne te demandera guère d’efforts. Tu garderas mon bétail. J’attache beaucoup d’importance à ce qu’il soit mené en de bons pâturages, et je veux que tu ne tiennes compte de l’avis de personne, mais que tu juges par toi-même où trouver, dans les marécages, la meilleure pâture. Je ne me connais pas en hommes, si tu ne possèdes le courage et la force de tenir tête à n’importe lequel des domestiques de Thorstein. »

Thorstein remit à Thrand une grande hache dont le tranchant avait presque la longueur d’une aune et qui coupait un cheveu.

  1. La loi, aussi bien que le respect dû à la dépouille mortelle, imposaient l’obligation de recouvrir les cadavres d’objets quelconques (bouclier, manteau, pierres, gazon, etc.), avant de les abandonner. Quiconque négligeait ce devoir, était passible d’un bannissement de trois ans.