Page:La Saga du scalde Egil Skallagrimsson, trad. Wagner, 1925.djvu/193

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 163 —

Egil compose une « drapa » en l’honneur du roi Eirik.

Ainsi fut fait. Arrivés dans l’habitation particulière, tous deux montèrent dans une petite chambre de l’étage et discutèrent la situation. Arinbjörn parla en ces termes : « Le roi était fort surexcité, mais son humeur me semblait quelque peu calmée vers la fin de l’entretien. La bonne fortune va décider de ce qui arrivera. Gunnhild, je le sais, mettra tout en œuvre pour te perdre. Je vais donc te donner un conseil. Cette nuit tu veilleras et tu composeras un chant de louanges à l’adresse d’Eirik. Il me semble qu’il serait bon que cette poésie eût vingt strophes et que tu fusses prêt à la réciter demain matin, quand nous nous présenterons devant le roi. Ainsi fit Bragi[1], mon parent, lorsqu’il eut provoqué la colère de Björn, roi de Suède. Pendant une nuit, il composa, en son honneur, une drapa de vingt strophes pour racheter sa tête. Il se pourrait que nous eussions du succès auprès du roi et que par là tu réussisses à rentrer dans ses bonnes grâces. »

Egil répondit : « Je tenterai pareille démarche, puisque tu le veux ; mais je ne me sens guère les dispositions nécessaires pour chanter les louanges du roi Eirik. »

Arinbjörn l’engagea à en faire l’essai. Il s’en alla ensuite rejoindre ses hommes et continua, jusqu’à minuit, à boire avec eux. Alors il gagna sa chambre à coucher, et ses compagnons firent de même. Avant d’ôter ses vêtements, il monta à l’étage auprès d’Egil et demanda où il en était avec le poème. Egil avoua que rien n’était fait — « une hirondelle est venue se poser ici, sur le bord de la fenêtre ; elle gazouillait tout le temps et m’empêchait absolument de trouver le calme. »

  1. Le scalde Bragi le Vieux (première moitié du ixe siècle) est l’auteur de la plus ancienne drápa connue, de la Ragnarsdrápa, qui chante la gloire du roi danois Ragnar Lodbrok (cf. ch. 51, no 2). Bragi, si l’on excepte le légendaire Starkad, est le premier qui ait fait valoir et honorer ses talents poétiques à la cour des princes scandinaves. La tradition a idéalisé la figure du poète et la profonde vénération des scaldes lui a assigné une place à côté des divinités du Walhalla. Arinbjörn était son arrière-petit-fils.