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basse sur tout ce dont ils parvinrent à s’emparer et regagnèrent le bateau. Après une courte attente, un vent propice souffla des terres. Ils prirent leurs dispositions en vue du départ et, quand ils furent prêts à mettre à la voile, Egil monta dans l’île.

Il prit en mains une perche de coudrier et escalada un rocher proéminent d’où il put jeter les regards sur la région. Ensuite, saisissant une tête de cheval, il la planta sur la perche et prononça les paroles consacrées en disant : « Ici, je dresse un bâton d’infamie et j’envoie cette insulte à l’adresse du roi Eirik et de la reine Gunnhild. » Tournant la tête de cheval du côté des terres, il continua : « Je lance cette malédiction à la face des génies tutélaires qui habitent cette région, afin qu’ils errent tous à l’aventure et ne trouvent le repos dans leur patrie avant d’avoir chassé du pays le roi Eirik et Gunnhild. » Sur ces mots, il enfonça la perche dans une crevasse de rocher et l’y laissa plantée. Il tourna la tête de cheval vers l’intérieur du pays et tailla dans la perche des runes qui redisaient toutes les paroles de son imprécation[1].

Cela fait, Egil rejoignit le bateau. On hissa les voiles et l’on gagna la haute mer. Le vent se mit à souffler plus fort ; le temps devint âpre et propice et la vaste embarcation vogua sur les flots. Alors Egil dit :

Terrible et sans relâche, le souffle furieux de la tempête,
De son ciseau mordant travaille
Les flots glacés, devant la proue,
Sur le chemin que parcourt le bateau.
Le vent glacial, sans ménagement,
Assaille l’embarcation
Par des coups impétueux,
Par-dessus l’étrave et le beaupré.

Ils firent donc voile vers la haute mer. La traversée fut heu-

  1. L’étrange procédé qui est décrit ici était la manifestation publique du plus profond mépris, l’expression de la plus grave malédiction à l’adresse d’une personne que l’on poursuivait de sa haine pour avoir, d’une manière quelconque, forfait aux lois de l’honneur ou de la justice. La perche de coudrier plantée en terre ou dans une crevasse de rocher portait, en inscriptions runiques auxquelles on attribuait un pouvoir magique, les paroles de l’imprécation et le nom de celui que l’on vouait