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s’esquiva et s’enfuit, poursuivie par Skallagrim. Ils coururent ainsi jusqu’au delà de Digranes, où elle se précipita du haut d’une colline dans les flots. Skallagrim lança contre elle une grosse pierre qui l’atteignit entre les épaules, et elle disparut avec la pierre. Cet endroit s’appelle aujourd’hui Brakarsund. Au soir, lorsqu’on rentra à Borg, Egil était fort en colère. Skallagrim avait déjà pris place à table avec tout son personnel, qu’Egil n’était pas encore venu occuper son siège ; il s’était rendu dans la salle du foyer auprès de la personne qui avait la direction des travaux et l’administration des biens de Skallagrim et qui était très sympathique à ce dernier. Egil, après lui avoir asséné un coup mortel, regagna son siège. Cependant Skallagrim garda le silence à ce sujet et l’affaire n’eut pas d’autres suites. Le père et le fils ne se disaient rien, ni en bien ni en mal, et c’est ainsi que l’hiver se passa.

L’été suivant, Thorolf arriva en Islande, comme il a été dit plus haut. Après un séjour d’un hiver au pays, il apprêta, dès le printemps, son bateau à Brakarsund[1]. Quand les préparatifs furent terminés, Egil, un beau jour, alla trouver son père, le priant de lui donner les moyens d’entreprendre un voyage. « Je désire, » dit-il, « partir avec Thorolf. » Grim lui demanda s’il s’était entendu à ce sujet avec Thorolf. Egil répondit qu’il n’en avait rien fait. Grim l’engagea à faire cela d’abord. Mais quand Egil en causa avec Thorolf, celui-ci lui dit : « Ne caresse pas l’espoir que je t’emmènerai avec moi. Si ton père estime qu’il ne sait pas venir à bout de toi dans sa propre habitation, je n’ai aucune confiance et n’ose te prendre avec moi en pays étranger ; car tu n’auras aucune chance de salut avec un tempérament pareil à celui que tu déploies ici. » — « Il peut se faire, » répondit Egil, « que dans ce cas ni l’un ni l’autre de nous deux ne parte. » La nuit suivante, une violente tempête, venant du Sud, se déchaîna. Dans l’obscurité de la nuit, alors que le flux montait, Egil se glissa sur le bateau, passa de l’autre côté des tentes et coupa les attaches sur le bord extérieur ; ensuite, franchissant en toute hâte la passerelle qu’il repoussa dehors aussitôt, il coupa les câbles qui retenaient le bateau au rivage. Celui-ci

  1. V. fin du ch. 38.