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concevoir. Par l’abus des licences poétiques, des métaphores et des tropes, entremêlant comme au hasard les mots et les idées les plus hétérogènes, ils ont produit un galimatias d’aspect déconcertant et que l’esprit s’évertue vainement à éclaircir. L’obscurité, l’emphase, les redondances, les chevilles, les kenningar sans goût et sans poésie ont rendu leurs créations illisibles et ont attiré sur elles le dédain des profanes[1]. Les chants de Fridthjof, par contre, sont exempts de ces égarements de l’imagination. Ils sont restés fidèles à l’idéal poétique des temps primitifs, à la conception saine et naturelle d’une poésie qui parle au cœur et qui inspire des sentiments tendres, vrais, nobles et durables. Il n’existe, dans toute la saga, aucune de ces expressions métaphoriques par lesquelles les scaldes ont voilé leur pensée. Les images y sont rares, et celles que l’on rencontre sont d’une poésie charmante, peuvent être comprises sans effort et ne choquent le goût ni par le sens ni par la forme. Quand Fridthjof dénomme son bateau « le coursier de la mer enduit de poix » ou « l’animal de la mer » ; quand il parle des flots « à la crinière de frimas et au plumage de cygne » ; quand il appelle la mer « la salle de Rán » ou « la couche de Rán » et le ciel « la couverture du monde » ; quand il désigne Ingibjörg

  1. À titre d’échantillon de cette poésie artificielle, voici une strophe empruntée à la saga de Gunnlaug Langue de Serpent : « Bien qu’il (Gunnlaug) brandisse vaillamment le feu de la tempête de Thund, il ne réussira pas à gagner l’amour de la Jörd revêtue de son vêtement de toile ; car nous jouions, quand nous étions plus jeunes, sur les diverses proéminences du feu du bras dans le pays du poisson de la bruyère ». (Voir notre traduction de la saga de Gunnlaug, p. 77). Tout cela veut dire : Dans la première jeunesse Gunnlaug jouait familièrement avec les bagues et les bracelets de Helga et s’entretenait avec elle d’une manière intime.