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alors que peut-être on faisait un peu de « musique », une petite tête grise sans prétention, une petite tête bien sage, regarda par la porte ouverte.

— Hurrah ! Amenez-le ! s’écrièrent les Archanges.

Et son saïs, qui se sentait, oui-da, bienheureux, passa la main sur le flanc du Chat Maltais, lequel entra en clochant du pied dans le cercle éclatant de lumière et d’étincelants uniformes, en quête de Lutyens. C’était un habitué des mess, des chambres de caserne[1], des endroits où l’on n’encourage guère, en général, les poneys à pénétrer ; et, en ses jeunes ans, il avait, à l’occasion d’un pari, sauté sur une table de mess pour ressauter de l’autre côté. Aussi se conduisit-il fort poliment, mangea-t-il du pain saupoudré de sel, et, avançant avec précaution, fut-il caressé à la ronde. Enfin, on but à sa santé, attendu qu’il avait fait plus pour gagner la coupe que n’importe quel homme ou quel autre cheval.

C’était gloire et honneur en suffisance pour le reste de ses jours ; aussi le Chat Maltais ne se plaignit-il pas outre mesure en entendant le vétérinaire le déclarer désormais impropre au polo. Lorsque Lutyens se maria, sa femme ne lui permit pas de jouer, de sorte qu’il fut forcé d’être arbitre, et, en ces occasions-là, sa bête en était un poney gris moucheté, à la jolie petite queue de polo, boiteux de partout, quoique terriblement prompt de ses jambes, et, comme tout le monde le savait, le nec plus ultra de ceux qui pratiquent le jeu.

Rudyard KIPLING.
(Traduit par Louis FABULET et Arthur AUSTIN-JACKSON.)
  1. Chambres d’officiers dans les casernes anglaises.