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Un Pénitencier indigène
sur le territoire militaire du Sud algérien
I
un convoi de détenus indigènes. — sur la route de l’ « enfer du djebel-amour ». — la police d’un cercle saharien. — justice rapide.

Il y a peu de temps encore, au retour d’une longue et triste campagne d’hiver dans l’extrême Sud algérien, la colonne dont je faisais partie rejoignit à quelques kilomètres de Laghouat une petite troupe d’Arabes qu’entourait une escorte de spahis armés. L’aspect des gens qu’on conduisait ainsi était des plus lamentables. Des cordes aux poignets, pieds nus, en haillons pour la plupart, ils étaient là une dizaine, au milieu du cercle des cavaliers qui les poussaient en avant. Un de ces malheureux, dont le grand âge appesantissait la marche, suivait en arrière, les mains attachées à la queue du cheval de son gardien, et il allait, péniblement, tête basse, sans un mot de révolte, farouche et résigné. Nous les revîmes une dernière fois, le jour suivant, à l’étape de Sidi-Makhlouf où ils étaient arrivés quelques heures avant nous. Les spahis les avaient laissés seuls, au milieu de la cour du caravansérail tout blanc de soleil : réunis trois par trois, les bras attachés derrière le dos, les jambes liées, ils demeuraient accroupis, et, un pain de troupe entre les genoux, ils dévoraient, mordant à même, goulûment.

Nous étions habitués dès longtemps à trop de cruautés pour nous émouvoir d’un tel spectacle, et nous restâmes indifférents. Dans notre pensée, à en juger par l’extrême rigueur avec laquelle on les traitait, ce devaient être quelques bandits des steppes, coupables des pires forfaits, qu’on menait à Alger rendre compte à la justice de crimes qu’ils ne tarderaient pas à expier. Nous nous trompions. Malgré leur malheureux état et malgré le mépris que leur misère avait pu inspirer à quelques-uns de mes compagnons, ces Arabes n’étaient ni des criminels ni des malfaiteurs, et le crime du plus grand nombre d’entre eux était de s’être trouvés sur le passage de quelque autorité de « bureau arabe » à une époque où la ferme de Tadmit — « Enfer du Djebel-Amour », comme l’appela un jour devant moi un vieil indigène qu’on y menait ainsi au mépris de toute justice — manquait de bras. Ce que j’avais déjà vu moi-même dans le convoi de Sidi-Makhlouf, et les vagues indications qui m’avaient été données sur cette ferme de Tadmit dont le nom seul est un objet de terreur pour les