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à la visite. Le lieutenant Challoux l’y accompagna, mais, malgré tous ses efforts, le major[1] de Gabès l’envoya à l’hôpital.

Il y mourut cinq jours après. Le chef de détachement, le sergent Demoncul, défendit aux disciplinaires de se rendre à Gabès pour l’enterrement de leur camarade.

Lorsque le capitaine de Castaignier[2], commandant la 1re compagnie, reçut la nouvelle de la mort de Demange, il trouva cette bonne parole : « Tant mieux, encore une rosse de crevée ! »

Assassinat du disciplinaire Matton. — Ceci se passa à Aumale, à la portion centrale de la 4e compagnie de fusiliers de discipline, le 27 avril 1898. Un fusilier, nommé Matton, ayant quelques jours de prison à purger pour un motif insignifiant, fut mis au peloton à une heure de l’après-midi. Étant d’une faible constitution et anémié par le climat africain, il ne put continuer longtemps le pas gymnastique par lequel le garde-chiourme Gofferto avait fait débuter le bal. À une heure et demie, le malheureux tombait sur la piste. Gofferto recourut alors au moyen habituel, il fit appeler deux témoins et donna au camisard abattu l’ordre formel de se relever et de reprendre sa place au peloton. Matton demanda ou plutôt implora la visite du major. Le chaouch le fit jeter en cellule en lui signifiant qu’il ne lui serait pas donné à manger avant qu’il ne reprit sa place au peloton.

Après le changement de garde à cinq heures et demie du soir, Matton réclama sa gamelle et son quart de pain ; un homme de garde avertit le sergent de semaine Rossignol que Matton demandait sa gamelle. Ce Rossignol, l’adjudant, le caporal Vallès et deux autres gradés pénétrèrent dans la cellule, se ruèrent sur le camisard, lui lièrent les membres, le bâillonnèrent et lui meurtrirent le corps de coups de talon et de coups de poing. Blessé mortellement aux parties sexuelles. Matton expirait à huit heures et demie du soir. Le major appelé constata le décès et fit transporter le corps à l’amphithéâtre aux fins d’autopsie. Son rapport conclut nettement à la mort par suite de mauvais traitements et de sévices corporels.

Trois jours après le dépôt du rapport, le général Varlond daigna faire un simulacre d’enquête. Tous les témoignages recueillis confirmèrent les conclusions du rapport, tous sauf un. Le délai accordé aux meurtriers par la coupable négligence du général Varlond avait permis aux assassins d’acheter la conscience d’un homme comme on en rencontre trop à la discipline, une bourrique qui accepta de mentir pour obtenir une sortie de faveur et apporta le seul témoignage favorable que les gradés purent recueillir.

Sur ce seul témoignage se basa l’enquête qui, démontant les conclusions du médecin-major, déclara que les accusés avaient agi dans l’exercice de leur droit. Le caporal Vallès, qui s’était vanté à tout

  1. Étapes Bir-Kouti, Bir-Bessi, Ketena, Mareth, Métrech.
  2. Le capitaine de Castaignier est capitaine adjudant-major à Tarbes.