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rencontré autrefois à Bedford, et j’ai reconnu aujourd’hui sa tête comme il entrait dans la salle de billard. C’est un des plus forts joueurs que nous ayons, par parenthèse. Nous avons joué une partie ensemble, quoique je ne fusse pas sans inquiétude. Et, à un certain moment, j’étais perdu si je n’avais fait le coup le plus étonnant qui peut-être eût jamais été fait. J’ai attaqué sa bille exactement… mais je ne puis vous expliquer cela sans un billard… Enfin, je l’ai battu. Un beau gaillard ! riche comme un juif ! Je voudrais dîner chez lui : il doit donner de fameux dîners ! Mais de quoi pensez-vous que nous ayons parlé ? De vous. Oui, par le ciel ! Et le général vous trouve la plus jolie fille de Bath.

— Quelle absurdité ! Comment pouvez-vous dire cela !

— Et que croyez-vous que j’aie dit ? (Baissant la voix :) « Bien parlé, général ! ai-je dit. Je suis tout à fait de votre avis. »

Catherine, moins flattée de l’admiration de Thorpe que de celle du général Tilney, ne fut pas fâchée qu’à ce même moment Mme Allen l’appelât. Thorpe voulut l’accompagner jusqu’à la voiture, ce qu’il fit en assenant sur Catherine, qui protestait en vain, ses délicates amabilités coutumières.

Au lieu de déplaire au général Tilney, provoquer son admiration était délicieux ; et Catherine se complaisait à penser que désormais il n’était aucun des Tilney qu’elle craignît de rencontrer.

Jane Austen

(À suivre.)


Traduction Félix Fénéon.