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ques dames. Elles se remirent en marche : justement elles venaient de découvrir, dans le lointain, une place convenable. Par force et par ruses elles y parvinrent, et les voilà maintenant au haut de gradins d’où Mlle Morland, dominant la foule, se rendait compte des dangers de son récent passage à travers elle. Spectacle splendide, et, pour la première fois, elle commença à se sentir dans un bal. Elle avait grande envie de danser, mais ne connaissait personne. Mme Allen fit tout ce qu’elle pouvait faire en pareil cas. De temps en temps elle proférait, d’un ton détaché : « Je voudrais vous voir danser, ma chère ; je voudrais que vous trouviez un cavalier. » D’abord sa jeune amie se sentit reconnaissante de ces vœux ; mais ils furent si souvent répétés, et prouvés si totalement inutiles, qu’à la fin Catherine s’en fatigua et n’eut plus envie de remercier.

Elles ne purent jouir longtemps de la position éminente qu’elles avaient si industrieusement gagnée. On se mit bientôt en mouvement pour le thé, et elles durent faire comme tout le monde. Catherine commençait à éprouver quelque désappointement : elle était lasse d’être sans cesse pressée entre des gens, sans même qu’elle pût atténuer l’ennui de son emprisonnement en échangeant une syllabe avec aucun de ses anonymes compagnons de captivité ; et quand, à la fin, elle fut dans la salle où l’on prenait le thé, elle sentit plus encore la détresse de n’avoir pas de société à rejoindre, aucune personne de connaissance à appeler, nul gentlemen à qui demander secours. De M. Allen elle ne virent pas l’ombre, et, après avoir vraiment cherché à l’entour une place plus commode, elles se résignèrent à s’asseoir au bout d’une table où une nombreuse société avait déjà pris place, sans qu’elles eussent là rien à faire, sans qu’elles sussent à qui parler, sauf l’une à l’autre.

Dès assises, Mme Allen se félicita d’avoir préservé sa robe de tout dommage.

— Il eût été affreux de la déchirer, n’est-ce pas ? dit-elle. C’est une mousseline si délicate. Pour ma part, je n’ai vu dans la salle rien qui me plût autant, je vous assure.

— Comme c’est gênant, soupira Catherine, de n’avoir pas une seule connaissance ici.

— Oui, ma chère, reprit Mme Allen, avec une parfaite sérénité. C’est très fâcheux, en effet.

— Que faire ? Les messieurs qui sont à cette table et les dames nous regardent comme étonnés de nous voir là ; nous semblons nous introduire dans leur société.

— Et c’est bien ce que nous faisons. Que c’est donc désagréable ! Je souhaiterais que nous eussions beaucoup de connaissances ici.

— Je voudrais que nous en eussions une : ce serait quelqu’un vers qui aller.

— Très vrai, ma chère ; et si nous connaissions quelqu’un, n’importe qui, nous le rejoindrions immédiatement. Les Skinner étaient ici l’an dernier : je souhaiterais qu’ils fussent ici maintenant.