Page:La Revue blanche, t12, 1897.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion



chapeau des fleurs blanches, ce qui motiva force calembours bien militaires. Pourtant elle était bien modeste aussi. Pour nous insulter toutes les deux il fallait vraiment en avoir envie. Ce jour-là on ne mangea rien.

— Le lendemain ?

— Le lendemain, vers onze heures, on nous fait descendre sur la place. On nous fait nous donner le bras sept par sept, et nous partons escortées de chasseurs de Vincennes. Le lieutenant qui commandait le convoi semblait avoir honte. Il n’osa pas nous regarder une fois. Je n’ai vu que des femmes parce que j’étais devant, mais il paraît qu’il y avait des hommes par derrière. Nous allions à Satory. Il pleuvait. Nous étions terriblement crottées. Beaucoup étaient chaussées de savates. Sur la route une femme demanda des bas en passant devant une bonneterie. Le marchand distribua des bas, on payait si on voulait ; il faillit être arrêté. Une de nous était habillée de soie marron. Elle était criblée de boue. Quand on se donne le bras on ne peut pas se retrousser. Une femme très laide avait une crinoline, quoique ce ne fût plus la mode. La pluie avait disloqué cet appareil, et des gens mettaient le pied sur le cercle qui traînait. Les soldats ne parlaient que de coups de sabre, si on faisait mine de s’arrêter. Dans un bois on fit une halte, et notre escorte de fantassins fut remplacée par une escorte de cavaliers. Le nouvel officier nous inspectait en goguenardant. De la pointe de son sabre il arracha la voilette de Mme Régère et la mienne. À jeun depuis le veille on avait la gorge sèche de marcher depuis le matin. Les officiers étaient beaucoup plus cruels que les soldats.

On s’était remis en route, et maintenant il fallait marcher aussi vite que les chevaux. À la nuit nous arrivions au camp de Satory. Là on nous parqua dans une pièce pleine déjà de monde. Ce qu’elles marquaient mal, ces pauvres prisonnières ! Il y avait par terre une litière de paille que l’humidité fit bientôt fermenter. Des jours passaient. On grouillait là-dedans avec un bruit d’écrevisses, dans une odeur de sang, d’urine et de sueur, parmi des poux, des punaises et des cafards. Nous avions toutes la colique. Le médecin ne pouvait nous donner qu’un peu de laudanum. Un pain par jour, pas autre chose, et de l’eau sale dans un bidon, mais très peu, à peine ce qu’il nous fallait pour boire. La nuit, toutes les jambes étaient enchevêtrées, si bien qu’il était impossible de dormir. Un gendarme nous procurait des vivres, et nous volait. Après une absence de quelques jours, il reparut. Dans l’intervalle on l’avait décoré.

Le temps passait. Toutes ces femmes étaient sans linge. Toutes celles qui étaient enceintes avaient fait des fausses couches. Vous voyez cela, des femmes en fausses couches gardées par des soldats ! On ne se parlait presque pas.

Derrière notre cantonnement, il y avait un petit terrain. Pour y aller, il fallait en demander la permission. Mais il y avait toujours