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appelle de ce grand nom : l’honneur. Et, avec un cri émouvant ! « Je vous jure que je n’ai jamais eu d’amant » elle se donne, sacrifiant son passé, humiliant son avenir, car elle devra rougir devant ses enfants. Et l’homme qu’elle aime si douloureusement épouse sa propre fille. Les deux seules tendresses de sa vie, l’enfant et l’amant, se coalisent pour lui inspirer cet effroyable désespoir. Au cortège de mariage elle apparaît, comme les prisonniers que les vainqueurs traînaient derrière leur char triomphal. La passion a bu la couleur de son visage, ses cheveux sont devenus blancs, l’écœurant adultère est anobli par la grandeur de l’expiation.

Maupassant avait imaginé un autre dénouement à son livre. L’amante dédaignée, mais toujours amoureuse, ne pouvant se résigner à perdre son ami, le mariait à sa fille. Lorsque l’écrivain lut ces pages à sa mère, celle-ci s’écria : « Mais c’est la fin de Renée Mauperin ! »

Alors Guy envoyant chercher le volume, reconnut la similitude d’inspiration et modifia son sujet. Mme Walter ne fut pas médiocrisée par un calcul répugnant.

À Allevard où Guy accompagnait Mme de Maupassant, il eut la première idée d’écrire Mont Oriol, et lorsque son plan fut rigoureusement arrêté, il revint travailler à Cannes. Mais, dans le décor nouveau, il ne retrouva pas ses impressions, et artiste consciencieux, retourna à Allevard terminer l’ouvrage.

Christiane et Paul sont de la même race de mondains attirés l’un vers l’autre par la curiosité, ce ferment d’amour. Car, en se révélant l’un à l’autre leur chair, deux êtres se révèlent l’âme secrète que chacun dissimule avec une pudeur morale peut-être plus grande que la pudeur physique. Mais alors que Christiane sera pour Paul une aventure parmi des aventures, il est pour elle vraiment l’initiateur. Parce qu’il a posé sur elle un regard ardent, la cendre qui recouvrait son âme s’est envolée, l’âme somnolente s’est réveillée. Christiane devient soudain fine, coquette, adroite, variée, une femme au lieu d’une petite poupée. Elle qui subit le mariage sans ennui et sans joie, accepte la banalité des hommages qui glissaient sur son âme sans la pénétrer, rencontre un de ces hommes pour lesquels la préoccupation de l’existence est la Femme. Voici que, soudain, elle comprend qu’elle est la fée puissante qui peut, à son gré, faire haleter d’angoisse ou rayonner de joie cet homme, elle connaît l’enivrement de la domination, puis, vaincue par l’amour, elle connaît l’annihilation de la volonté, les heures où le corps, les nerfs, l’intelligence, tout l’être est volontairement