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HANDS OFF LOVE

du mariage, qu’il ne pourrait pas tolérer la contrainte conventionnelle que les relations du mariage imposent et qu’il croyait qu’une femme peut honnêtement faire des enfants à un homme en dehors du mariage ; attendu qu’il a également ridiculisé et bafoué l’attachement de la plaignante et sa fidélité aux conventions morales et sociales qui sont de règle sous le rapport du mariage, les relations des sexes et la mise au monde des enfants, et qu’il fait peu de cas des lois morales et des statuts y relatifs (sous ce rapport, le défendeur dit un jour à la plaignante qu’un certain couple avait eu cinq enfants sans être marié et il ajouta : « C’est bien la façon idéale pour un homme et une femme de vivre ensemble. » ), nous voilà édifiés sur le point essentiel de la fameuse immoralité de Charlot. Il est à remarquer que certaines vérités très simples passent encore pour des monstruosités. Il est à souhaiter que la notion s’en répande, notion purement humaine et qui n’emprunte ici à celui qui la manifeste que son prestige personnel. Tout le monde, c’est-à-dire tout ce qui n’est ni cafard ni punaise, pense ainsi. Nous voudrions bien voir qui oserait soutenir par ailleurs qu’un mariage contracté sous menace lie en quoi que ce soit un homme à une femme, même si celle-ci lui a fait un enfant. Qu’elle vienne alors se plaindre que le mari rentre directement dans sa chambre, qu’elle rapporte horrifiée qu’une fois il est rentré ivre, qu’il ne dînait pas avec elle, qu’il ne la menait pas dans le monde, il y a tout juste là de quoi hausser les épaules.

Cependant il semble qu’après tout Charlie Chaplin songe de bonne foi à rendre possible la vie conjugale. Pas de chance, il se heurte à un mur de sottise. Tout est criminel à cette femme qui croit ou feint de croire que la fabrication des mioches est sa raison d’être, des mioches qui pourront à leur tour procréer. Belle idée de la vie. « Que désirez-vous faire ? Repeupler Los Angeles ? » lui demande-t-il excédé. Elle aura donc un second enfant, puisqu’elle l’exige, mais qu’elle lui fiche la paix : il n’a pas plus voulu de la paternité que du mariage. Cependant il faudrait qu’il vienne bêtifier avec les bébés pour plaire à Madame. Ça n’est pas dans son genre. On le verra de moins en moins à la maison. Il a sa conception de l’existence, c’est à elle qu’on s’attaque, c’est elle qu’on veut réduire. Qu’est-ce qui l’attacherait ici, auprès d’une femme qui se refuse à tout ce qu’il aime, et qui l’accuse de miner et de dénaturer (ses) impulsions normales… de démoraliser ses règles de décence, de dégrader sa conception des choses morales parce qu’il a essayé de lui faire lire des livres où les choses sexuelles étaient clairement traitées, parce qu’il a voulu qu’elle rencontre des personnes qui apportaient dans les mœurs un peu de cette liberté dont elle était l’ennemie obstinée. Eh bien, quelle complaisance encore de sa part quatre mois avant leur séparation, quand il lui propose d’inviter chez eux une jeune fille qui a la réputation de se livrer à des actes de perversité sexuelle et qu’il dit à la plaignante qu’ils pourraient avoir de la rigolade. C’est le dernier essai d’acclimatation de la couveuse mécanique au comportement naturel de l’amour conjugal. La lecture, l’exemple, il a fait appel à tout pour faire entendre à la buse ce qu’elle n’arrivait pas à saisir d’elle-même. Après cela elle s’étonne des inégalités d’humeur d’un homme à qui elle fait cette vie d’enfer. « Attendez que je sois subitement fou, un jour, et je vous tuerai » , cette menace elle ne l’a pas oubliée pour le cahier des charges, mais sur qui donc en retombe la responsabilité ? Pour qu’un homme prenne ainsi conscience d’une possibilité telle, la folie, l’assassinat, ne faut-il pas qu’on l’ait soumis à un traitement qui peut déterminer la folie, entraîner l’assassinat ? Et pendant ces mois où la méchanceté d’une femme et le danger de l’opinion publique le forcent à jouer une comédie intolérable, il n’en reste pas moins dans sa cage un homme vivant, dont le cœur n’est pas mort.

« Oui c’est vrai » , dit-il un jour, « je suis un amoureux et il m’est indifférent qu’on le sache, j’irai la voir quand je voudrai, que cela vous plaise ou ne vous plaise pas ; je ne vous aime pas et je vis seulement avec vous parce que j’ai dû vous épouser » . Voilà le fondement moral de cette vie, voilà ce qu’elle défend : l’amour. Il arrive que dans