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CHRONIQUES

apercevrons les arbres et l’eau gazeuse sans pouvoir en approcher. Nous aurons perdu même le goût de la terre, et nous serons muets. Nos raisons ne sont pas de celles qui forment un filet, un maillon après l’autre. Le talent des uns et la maniaquerie des autres, les disgrâces et les effusions, le génie méconnu et le génie reconnu, tout cela risque de fleurir sur notre parterre. Les germes monstrueux d’une époque future étouffent les larves du passé. Pour la première fois quelques âmes n’ont pas été vendues au Diable, car nous lui en avons gracieusement fait cadeau. Pessimiste ? qu’importe. Partout où l’homme a passé pousse le blé, mais partout le blé pousse passe la faux, etc.. Je ne doute pas que les démonstrations les meilleures soient celles que l’on pratique ad hominem. Le mystère de nos origines est notre véritable lien.

Pierre Naville.

CHRONIQUES
MOUVEMENTS PERPÉTUELS. — 98 fallacieux mécanismes qu’imaginèrent maints chimériques inventeurs du moyen-âge à nos jours, par J. Michel, ingénieur civil. (Bibliothèque des Monographies Techniques, Paris, Desforges, Girardot et Cie.)

L’auteur ne croit pas à la possibilité du mouvement perpétuel. C’est un ingénieur, et sagement il résume les plans de 98 appareils. Pour lui, l’impossibilité mécanique existe seule. Il ne s’est pas demandé quel curieux facteur dans l’esprit de ces inventeurs dont beaucoup possédaient des notions scientifiques étendues les poussait à une recherche si aisément considérée absurde. Ni ce qui leur faisait prendre un brevet pour une machine qui ne marchait pas, qu’ils avaient vu ne pas marcher. Et cependant en Angleterre « de 1677, date de la création des brevets à 1903, il n’a pas été délivré moins de 600 brevets de ce genre, dont 25 seulement à des dates antérieures à 1855. » Roues à poids oscillant, roues à poids roulant ou coulissant, mouvements à tension de ressort, roues à contrepoids, bielles, leviers, roues et chaînes à godets, appareils à plans inclinés, oscillations pendulaires, appareils à eau, à mercure, à soufflets, moteurs capillaires, moteurs osmotiques, moteurs à pierre d’aimant, moteurs électriques, appareils à radium, machines merveilleuses, où s’épuise un désir d’absolu, comment parler si légèrement de ces recherches qui ont pour but la découverte d’une pierre philosophale du mouvement ? Ces plans qu’on dit naïfs auront été l’expression de la critique faite par des hommes, dont c’était là le langage, de la philosophie du mouvement. L’accusation de folie, les imputations d’esprit rêveur, chimérique, la qualification enfantillage cachent mal une certaine intolérance qui vaut celle des théologiens, et qui est le propre des scientifiques, ces ennemis de l’inspiration et de l’expérience, ces amateurs de codes et de manuels ne varietur.

M. J. Michel fait erreur quand il attribue le premier moteur magnétique à l’évêque de Chester, John Wilkins qui vécut au xve siècle. Un appareil basé sur le même principe fut inventé vers le milieu du xiiie siècle à Paris. Mais on peut lui pardonner une érudition courte à cause de l’impartialité avec laquelle il rend compte de l’appareil suivant :

« À la fin du xviiie siècle, un certain Orphyreus, conseiller du landgrave de Hesse-Cassel, construisit une roue mystérieuse qui fut examinée par le savant Gravesande, dont on a conservé une lettre envoyée à Newton.

Gravesande décrit en détail les expériences faites avec la roue « construite en bois recouvert de toile pour cacher le mécanisme, large de 12 pieds et épaisse de 14 pouces ». Quand on tournait doucement la roue, elle s’arrêtait dès que cessait l’impulsion ; mais la tournait-on rapidement, elle ne s’arrêtait plus. Les témoignages de contemporains relatifs à cette merveille paraissent très sérieux, mais, on ne sait absolument rien du principe de construction de l’appareil, qui fut finalement brisé par l’inventeur dépité qu’on lui refuse la grosse somme exigée en échange de son secret. »

Ainsi, rien ne permet d’affirmer que le mouvement perpétuel n’a pas été trouvé. Orphyreus, dont le nom ne figure pas à côté de celui de Nicolas Flamel dans la mémoire de ceux qui font porter un grand doute rétrospectif sur les événements défigurés de l’histoire des révoltes et du génie, conseiller hessois dont le nom tient de Porphyre et d’Orphée une inquiétante magie allemande, ainsi le hasard d’une lettre retrouvée l’oppose à Newton, l’homme qui a vu tomber la pomme déjà mangée par Ève, et ce ne doit pas être pour rien. Il ne s’en est fallu que d’une grosse somme d’argent, pour que Newton doive sa gloire à s’être occupé d’Orphyreus, et non de la mécanique céleste, application particulière du principe caché sous la toile et le bois par l’homme dont le nom vient des marches mystiques de la pensée.

ARAGON.


LA MONADE HIÉROGLYPHIQUE, de John Dee (traduit du latin par Grillot de Givry).

« L’alphabet magique, l’hiéroglyphe mystérieux ne nous arrivent qu’incomplets et faussés, soit par le temps, soit par ceux-là mêmes qui ont intérêt à notre ignorance ; retrouvons la lettre perdue ou le signe effacé, recomposons la gamme dissonante, et nous prendrons force dans le monde des esprits. »
Gérard de Nerval.

L’homme, inventeur de l’écriture et du langage, devait fatalement tomber dans ce piège, qu’il avait construit de ses propres mains. Il hypnostasia les paroles et les signes et crut qu’un dieu les lui avait révélés. « Je suis l’Alpha et l’Oméga », dit le Verbe incarné, dans l’Apocalypse, montrant ainsi, plus que ne le voudraient la tradition et même la kabbale, que si Dieu est le principe et la fin de toutes choses, il est en même temps un simple signe, une combinaison de lettres et de mots. Aujourd’hui que partout la Science règne en maître, l’homme recommence son erreur ancienne et,