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mieux et moins bien

évoluer le surréalisme dans le sens d’un humanisme. Voilà le mot lâché !

À vrai dire ce n’est pas seulement le surréalisme, c’est toute « intelligence » et toute « passion » que l’on voudrait ramener à l’humanisme. Mais la courbe précisément décrite par Paul Valéry — à quand son prochain roman ? — ne fait pas notre affaire.

Je tiens pour évident qu’un pessimisme dépourvu de conséquences funestes pour la vie, la vie médiocre, la vie courante, la vie sociale, pour parler clairement, n’est pas un pessimisme. Quelqu’un prétendra-t-il, s’il ne pousse pas à l’accomplissement de ces conséquences funestes, s’arrêter sur la pente du scepticisme ?… Et bientôt après il se retrouvera en train de barboter dans les eaux sales de la notoriété. Je souligne qu’à cette occasion on ne nous fera pas prendre Voltaire pour Victor-Hugo, ni Jésus Christ pour Lénine…

C’est ainsi, faisons voir aux critiques que nous ayons saisi la source dissimulée de leurs aigreurs, que l’on nous reproche de ne pas faire école. Après nous, mais contre nous, le mot surréalisme a obtenu une cote de faveur. C’est parce qu’il s’applique désormais à tout ce que l’on n’ose plus qualifier de moderne, ni fantaisiste, ni poétique, ni cubiste, etc… Les feuilles littéraires et autres ne laissent pas passer un jour sans nous apprendre les vertus surréalistes les plus flagrantes d’X ou d’Y.

Naturellement, rien ne nous rattache à ces productions, X ou Y, à ces divers étalons et pouliches du haras littéraire contemporain. Nous continuons à revendiquer le droit au désastre moderne, par tous les moyens ; nous permettrons ces conséquences funestes, ou bien nous ne serons rien. Et c’est à cause de cela que Drieu nous fait grief de collaborer très consciemment à l’avortement d’un beau mouvement artistique.

Les troupeaux humains, contrairement aux animaux, cherchent à entraîner leurs chefs après eux. Mais nous n’avons pas consenti à cette manœuvre, et à user de tout ce qui la perpétue, à nous soustraire aux décisions irrémédiables d’un jour, à contourner les tumultes, ou la monotonie, à demeurer à l’abri des orages, puis à mourir sous une couverture.

Le « Jeune Européen » péniblement mis sur pied par M. Drieu la Rochelle donne quelques indications à ce sujet. Mais il est un imbécile fané. Il n’est pas un homme intelligent ; il ne dispose d’aucun pouvoir. Son optimisme lui permet encore de s’en remettre à l’insouciance. « Que le chant de ma paresse emporte la rumeur de mes derniers soucis. » Mais ce qui a été jusqu’à présent notre évidente paresse à nous, ne nous a libérés d’aucun problème pratique, ni d’un seul problème théorique, ni d’une seule face du problème unique. L’optimisme s’oriente facilement sur le chemin de croix en carton que lui propose Drieu, et le jeune Européen n’a pas tardé à nous faire une confidence à laquelle on s’attendait : le ressort de son insouciance in extremis, c’est l’espoir de voir s’affirmer enfin, par dessus et au delà de ses soucis d’illettré, un art « profondément rénové… un art humain, direct, etc.. »

Toujours l’humanisme. Toujours le ridicule besoin de relire ses phrases, toujours l’incapacité de dépasser vraiment les bornes assignées à notre besoin de « syllogismes démoralisateurs », c’est-à-dire de tenir compte, une fois pour toutes les autres, de ces bornes.

Voudra-t-on bien nous passer définitivement les besoins artistiques « directs, humains », et par dessus le marché, l’introspection, l’art viable ou non, l’art de vivre, le premier des arts, l’art le plus primitif, l’Art en général, l’art véritable, l’art dans lequel on s’enfonce, l’art de l’amitié, l’art qui est un puissant moyen de vivre, l’art qui est la façon d’articuler une prière, l’art surréaliste, les passions, qui sont la matière éternelle de l’art, cet art-là, enfin, dont on prétend pour le combler que M. Soupault s’approche ? Cela aiderait cependant Messieurs les psychologues à apprécier convenablement le dédain où nous tenons leurs mielleuses découvertes.

Drieu la Rochelle, toujours optimiste, ne semble être que le jouet d’une illusion d’optique lorsqu’il loue à ce propos les romans de M. Soupault « en dépit de leurs négligences, de leurs flanchements, de leurs barbouillages. » Mais il y a plus qu’un défaut de goût ou d’intelligence. Il y a l’erreur générale, fondamentale, dérivée du besoin profond de l’individu, qui consiste à bramer après une renaissance artistique appuyée d’un « vocabulaire », pas si légendaire que cela, « de la religion ».

L’organisation du pessimisme est vraiment un des « mots d’ordre » les plus étranges auquel puisse obéir un homme conscient. C’est cependant celui que nous réclamons de lui voir suivre. Cette méthode si l’on peut dire, et l’on dirait plus justement cette tendance, nous permet et nous permettra peut-être encore d’observer la plus haute partialité, celle qui nous a toujours retranché du monde ; elle nous empêchera du même coup de nous fixer, de dépérir — c’est-à-dire que nous maintiendrons aussi fermement notre droit à l’existence, dans ce monde.

Car le pessimisme ne peut pas se développer, prolonger ses effets, par sa simple affirmation verbale. En effet cette affirmation peut être facilement produite à la