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HANDS OFF LOVE

est aussi un immense réservoir de sottise toujours prêt à se déverser sur nous et particulièrement à crétiniser tout à fait l’amorphe clientèle d’Europe, toujours à la merci du dernier enchérisseur.

Il est assez monstrueux à songer que s’il existe un secret professionnel pour les médecins, secret qui n’est après tout que la sauvegarde de la fausse honte et qui pourtant expose ses détenteurs à des répressions implacables, par contre il n’y a pas de secret professionnel pour les femmes mariées. Cependant l’état de femme mariée est une profession comme une autre, à partir du jour où la femme revendique comme dûe sa ration alimentaire et sexuelle. Un homme que la loi met dans l’obligation de vivre avec une seule femme, n’a d’autre alternative que de faire partager des mœurs qui sont les siennes à cette femme, de se mettre à la merci de cette femme. Si elle le livre à la malignité publique, comment se fait-il que la même loi qui a donné à l’épouse les droits les plus arbitraires ne se retourne pas contre elle avec toute la rigueur que mérite un abus de confiance aussi révoltant, une diffamation si évidemment liée à l’intérêt le plus sordide ? Et de plus comment se fait-il que les mœurs soient matière à législation ? Quelle absurdité ! Pour nous en tenir aux scrupules très épisodiques de la vertueuse et inexpérimentée Mme Chaplin, il y a du comique à considérer comme anormale, contre nature, pervertie, dégénérée et indécente l’habitude de la fellation[1]. (Tous les gens mariés font cela, dit excellemment Chaplin). Si la libre discussion des mœurs pouvait raisonnablement s’engager, il serait normal, naturel, sain, décent de débouter de sa plainte une épouse convaincue de s’être inhumainement refusée à des pratiques aussi générales et parfaitement pures et défendables. Comment une pareille stupidité n’interdit-elle pas par ailleurs de faire appel à l’amour, comme cette personne qui à 16 ans et 2 mois entre consciemment dans le mariage avec un homme riche et surveillé par l’opinion, ose aujourd’hui le faire avec ses deux bébés, nés sans doute par l’oreille puisque le défendeur n’eut jamais avec elle des rapports conjugaux comme il est d’usage entre époux, ses bébés qu’elle brandit comme les sales pièces à conviction de ses propres exigences intimes ? Toutes ces italiques sont nôtres, et le langage révoltant qu’elles soulignent nous l’empruntons à la plaignante et à ses avocats, qui avant tout cherchent à opposer à un homme vivant le plus répugnant poncif des magazines idiots, l’image de la maman qui appelle papa son amant légitime, et cela dans le seul but de prélever sur cet homme un impôt que l’état le plus exigeant n’a jamais rêvé, un impôt ! qui pèse avant tout sur son génie, qui tend même à le déposséder de ce génie, en tout cas à en discréditer la très précieuse expression.

Les griefs de Mme Chaplin relèvent de cinq chefs principaux : 1o cette dame a été séduite ; 2o le suborneur a voulu qu’elle se fasse avorter ; 3o il ne s’est résolu au mariage que contraint et forcé, et avec l’intention de divorcer ; 4o pour cela il lui a fait subir un traitement injurieux et cruel suivant un plan bien arrêté ; 5o le bien fondé de ces accusations est démontré par l’immoralité des propos coutumiers de Charlie Chaplin, par la conception théorique qu’il se fait des choses les plus sacrées.

Le crime de séduction est à l’ordinaire un concept bien difficile à définir, puisque ce qui fait le crime est une simple circonstance de la séduction à proprement parler. Cet attentat dans lequel les deux parties sont consentantes, et une seule responsable, se complique encore de fait que rien ne peut humainement prouver la part d’initiative et de provocation de la victime. Mais dans le cas présent l’innocente était bien tombée, et si le suborneur n’avait pas l’intention de lui faire faire un beau mariage, le fait est que c’est elle qui en toute naïveté a eu raison de cet être démoniaque. On peut s’étonner de tant de persévérance, d’acharnement chez une personne si jeune, si dépourvue de défense.

  1. Par exemple.