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mieux et moins bien

dus, et à retenir sérieusement les traits de caractères déplaisants dont s’émaille la conduite d’hommes, qui paraissent d’ailleurs d’une grande sincérité et honnêtement ennemis de toute oppression, tant qu’ils s’obéissent encore. Mais je ne veux disposer à priori d’aucune sanction contre telle ou telle fraction d’individus qui sont également réunis dans l’inacceptation d’un état de fait général.

Je m’en tiens là le 1er juin 1927.

Mais je dois dire que c’est pour revendiquer le droit de critique le plus absolu que j’écris quand même ces lignes.

Je ne songe pas du reste à un plaidoyer qu’on me verrait avec satisfaction entamer. Mais à la faveur de quelle idée de la polémique, voire de la discussion, pourrions nous aborder des sujets comme ceux de la permanence d’un esprit surréaliste et le développement récent du marxisme révolutionnaire ? Rien ne prouve en réalité qu’il soit urgent de s’essayer à situer tels événements, ou telles activités dépendant de ces sujets, et relativement peu importants, et cependant le simple et légitime souci d’épurer des idées susceptibles de se laisser ternir par l’incurie ou le mauvais vouloir autorise naturellement la critique. Car ce sont les droits impartis à la critique qui sont en jeu — non les droits impartis à toute critique, mais ceux qui sont les nôtres, ceux que nous exercerons jusqu’au bout, ceux que la révolution réclame sous peine de voir ses sectateurs facilement trompés par les charmes de la psychologie individuelle.

Je peux aussi prétendre que cette raison qui autorise la critique, la véritable raison coercitive, est en outre celle qui a pour mérite de demeurer inconnue. Mais faut-il aller jusqu’à voir dans cette idée le fondement d’une sorte de logique, entendez : de légitimation fragmentaire, que l’on utiliserait justement contre la Logique ? L’occupation du critique serait alors d’évaluer cette opération d’une manière quelconque, et dans le simple but d’obtenir une certitude personnelle, ou bien si l’on veut une certitude d’ordre général qu’il aurait faite sienne… Occupation imbécile, bien entendu, et dont personne jusqu’à présent n’a songé à se soucier jusqu’au bout. Nous y avons peut être perdu quelque chose.

Nous sommes en droit de songer à tout cela. Me convaincra-t-on que des Chants de Maldoror aux Poésies, Lautréamont a fait ce chemin justement pour le plaisir de montrer l’inutilité qu’il y a désormais à le parcourir ? Me convaincra-t-on pareillement que l’analyse de toute connaissance révèle en dernier ressort la présence de l’irrationnel, ce que, sans compter avec mon sentiment propre, j’ai appris des plus remarquables philosophes ? Naturellement. Mais je me persuade bien plus facilement du néant de ces opinions mêmes, et de ce qu’après elles, comme on dit, le problème persiste à se poser. L’opération logique est à sa place, l’erreur est de l’exercer.

Si le problème ne persistait pas à se poser, si nous étions vraiment ces ennuyés parfaits de la légende, nous aurions infailliblement recours à un dogme, chose repoussante. Or tel n’est pas le cas. Car au contraire, dans notre horreur des dogmes quels qu’ils soient nous nous sommes passionnés pour le problème, dont toute l’excuse est d’avoir pris les couleurs de l’époque et de nous avoir retenu parce qu’il était l’époque même.

Pour ma part, et ne serait-ce que pour donner à l’ensemble des esprits l’occasion de se départager, je ne me refuse pas à tenter une expérience qui peut mener malgré nous aux confins d’une technique spirituelle tout à fait inutile, mais dont l’aspect fondamental demeure avant tout la recherche d’une libération véritable de toutes les techniques.

Pour les esprits peureux et fatigués, je veux dire par là pour certaines catégories d’idéalistes satisfaits de leur piètre sentiment du néant aussi bien que pour certains matérialistes à carapace dure, je ne fais que rappeler la tâche finale (et c’est dans ce sens qu’aucun « état de fait » n’est réellement de nature à empêcher une entreprise quelconque de finalisation) dont il faut espérer qu’un jour certains révolutionnaires auront à se charger.

Mais on oublie que la dialectique est exigente. Et parce que son processus est éminemment relatif elle s’attire des reproches immérités. Si j’entends bien les critiqueurs elle s’attache à beaucoup d’aspects inutiles, elle passe par des chemins tout à fait tristes et d’un intérêt discutable, nul si l’on veut… Et c’est alors que, faisant la part des circonstances et du malaise des journées, on concède cependant à ceux qu’un tempérament quelconque (combien limité !) pousse… « sans doute il n’est pas négligeable qu’en attendant… etc. »

Eh bien non, je ne me laisserai pas prendre à ce piège. D’autres que moi, et de beaucoup plus éprouvés, ont déjà répondu, et ont su décevoir cette attente.

Ce n’est pas en attendant que Rimbaud fréquenta de la cruelle manière que l’on sait la côte des Somalis, ce n’est pas en attendant que Lautréamont a si magnifiquement démantelé la Logique, et ce n’est pas non plus en attendant que Berkeley, ou que Locke — ou que Hegel — ont filtré cette incandescence tragique ou se résout leur monde ; cela, nous le savons.

Mais il me semble que nous avons su reconnaître en quel sens Lénine n’attendit pas, et en quel sens Karl Marx « fut aux ordres » d’une impatience inouïe, et tellement profonde que ses prolongements sont