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mort de la culture. De même, au paganisme statique succède le christianisme en accord avec l’âme faustienne, avec son devenir. La théorie de la grâce (qui est une création continue) n’est acceptable que pour l’homme faustien pour lequel elle ne comporte pas de contradiction avec le libre arbitre. Le caractère chrétien de la philosophie de Spengler nous explique son langage dualiste, la perpétuelle opposition de l’âme d’une culture à ses réalisations historiques, etc. Un premier essai de chronologie comparée à la fin du premier volume du Déclin de l’Occident est résumé en trois tableaux synoptiques. Du premier, qui compare les productions intellectuelles des cultures hindoue, hellénique, arabe et occidentale, nous retiendrons que le stoïcisme gréco-romain, contemporain du socialisme occidental, marque l’hiver de sa culture. Le second compare les œuvres de l’art : la fin de la plastique gréco-romaine y est opposée à la fin de la musique marquée par Wagner. Le troisième tableau compare les formes politiques. Aux tribus de la préculture, succède au printemps la distinction du clergé et de la noblesse. L’état marque l’été. À l’automne éclate la révolution, qui aboutit à la dictature militaire. L’hiver a trois étapes : dictature de l’argent (stoïcisme et socialisme), césarisme (César et les dictateurs des ans 2000 à 2200), byzantinisme contemporain des invasions qui ramènent l’anarchie primitive. De ces trois tableaux Spengler déduit la mort prochaine de la civilisation occidentale. Acceptons notre destin. Dernière philosophie de l’Occident, la nouvelle doctrine exclut toute théorie aberrante. Ainsi, critiquant le relativisme de toute philosophie, relativement à notre stade de civilisation Spengler tend à imposer la sienne exclusivement. Et dans ces prévisions à longue échéance il trouve argument pour distraire l’activité humaine de ses buts immédiats. Pour échapper aux erreurs de perspective, il en crée une, destinée à faire disparaître, par rapport au déclin de l’Occident, les révolutions occidentales.

Comme l’Espagne ultramontaine, origine de l’état européen, empruntait au monde arabe ou magique et au paganisme des éléments que l’âme faustienne ne pouvait assimiler, la Prusse a hérité de son universalisme. La France, l’Italie, étrangères au devenir, avec la Renaissance, le classicisme, ont tenté de restaurer l’homme apollinien. L’Angleterre et la Prusse sont les deux types germains de l’idée faustienne : le type insulaire prétend conquérir la liberté sur l’état, le type continental par l’état. Spengler fait le procès de la Révolution française, de Rousseau, « ce théoricien de l’anarchie »[1]. La France oscille aujourd’hui « entre le régime à poigne et le bolchevisme dont la bourgeoisie française use comme d’un épouvantail pour provoquer les mesures réactionnaires ou les guerres de diversion… un communisme envieux, cupide et, malgré l’apparence, profondément bourgeois, cherchera non pas à résoudre le problème économique mais à déposséder les riches au profit des pauvres, ce qui ne changera rien à rien, etc. » Les Allemands qui ne partagent pas les idées de Spengler sont qualifiés d’Anglais de l’intérieur. Il lui est facile, ensuite, de se borner à deux pôles, l’étatisme ou socialisme prussien, l’antiétatisme ou capitalisme anglais. Ce troisième tour de passe-passe vient de mettre à la disposition du pangermanisme le vocabulaire du socialisme. Mais ce qui est frappant dans tout cet exposé, c’est l’égocentrisme de Spengler, qui tient pour non avenue la République allemande, simplement parce que l’imperium allemand est l’idée d’une dynastie.

Le capitalisme anglais cherche à conquérir le marché mondial, or le marxisme, conception apparentée à ce capitalisme, est bâti sur le même substrat : la conception anglaise de la vie économique et politique. Pour Marx comme pour le banquier anglais le travail est une marchandise. S’agit-il pour Marx de modifier ce système ? « Pas le moins du monde… l’argent changera de mains, les bons morceaux changeront de bouche… Mais au total rien de changé. Toujours le travail-marchandise, toujours la plus-value, toujours le conflit des égoïsmes ! » Cette brillante critique nous était réservée de longue main, voilà donc où voulait en venir Spengler. Au marxisme anglais, il oppose la conception faustienne du Prussien qui proteste contre le matérialisme de toute son âme. « Non, le travail n’est pas une marchandise, c’est un devoir librement consenti… Non, l’exploitation du travail par le capital n’est pas le conflit de deux égoïsmes, mais la collaboration de deux forces qui concourent à une même fin : le bien public, etc. Lutte des classes, socialisme marxiste, bolchevisme révolutionnaire sont dès lors en Prusse autant de non-sens ». Ainsi d’où qu’on prenne la doctrine spenglérienne, on la voit tendre à s’opposer essentiellement au marxisme. S’accommodant du devenir, Spengler propose une politique immédiate qui pour être le couronnement d’un système non-téléologique n’en est pas moins la raison d’être de ce système.

La faillite de l’État, masquée par le cours forcé, est depuis la fin de la guerre

  1. Rousseau n’a pas de chance. Bête noire de M. Bise, qui ne lui sait aucun gré d’avoir refusé les offres du roi de Prusse, il faut voir comme il est traité de haut par Salomon Reinach. Spengler, d’après M. Fauconnet, ne trouve rien de plus décisif à dire contre Marx : il procède de Rousseau ! Ainsi vous pensez.