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parable à celle de Spengler. Je me suis proposé dans le présent livre de la rendre accessible au lecteur français ».

C’est bien ce propos de vulgarisation nationale qui rend assez difficile de faire dans le livre de M. Fauconnet le départ entre la pensée de Spengler et la sienne. Tout de même qu’on ne saurait rendre Spengler coupable du style de cet ouvrage, il semble qu’il faille le tenir pour responsable de bien des mauvaises images qui y soutiennent l’exposé. Il faut dire que ce sort humoristique est ici échu à Spengler, dont toute la critique s’est exercée contre l’égocentrisme des philosophes, de se voir analysé en fonction d’un hypothétique lecteur français assez obtus auquel se reporte sans cesse l’auteur, pour lequel il avoue çà et là mettre surtout en avant les questions les plus intéressantes pour un Français, etc. Auteur d’un Essai sur la psychologie des chefs allemands à la première bataille de la Marne[1], M. Fauconnet malgré d’énormes efforts d’impartialité fait déjà lui-même bonne figure de lecteur français, effrayé d’un tel pangermanisme et quand j’aurai cité sa conclusion : « Spengler rappelle aux jeunes Allemands qu’ils doivent, en silence, se préparer pour le grand jour, que la « surprise de l’adversaire est, aujourd’hui encore, tout le secret de la victoire. Nous avons entendu. Nous sommes avertis », je me bornerai à considérer son compte rendu comme un reflet fidèle de l’œuvre spenglérienne, quitte à prêter au prophète du déclin de l’Occident quelques sottises poitevines.

Reflet de la réalité historique dans l’âme occidentale à notre stade de civilisation, la nouvelle psychologie que Spengler préconise est condamnée au succès parce qu’à tel stade de telle civilisation correspond une philosophie et une seule, qui ne peut être aujourd’hui organiquement qu’un scepticisme, mais spécifiquement qu’un scepticisme historique. Spengler se réclame d’Héraclite. Illusion que de supposer derrière la réalité éternellement mobile une substance immuable. Premier tour de passe-passe : en vérité Héraclite croit à une substance qui est le substratum du devenir, le feu, principe non formel, mais matériel. Sa grande découverte est pour Spengler de considérer l’individu comme une cellule d’un organisme plus vaste, sa race. À Goethe d’autre part, Spengler doit la méthode intuitive et la conception du phénomène primordial, limite de notre entendement, qui, dans l’histoire, est un organisme, la culture, dont l’homme historique n’est qu’une cellule.

L’homme antique au centre d’un éternel présent a du passé une conception polarisée, nous une conception périodique. Seule, l’Égypte, avec ses tombeaux que Spengler oppose à l’urne gréco-romaine, cherche à se souvenir. Elle a inventé le calendrier, la chronologie. Pour les historiens modernes, tous gnostiques, l’histoire se joue, de la Genèse à la fin du monde, entre Perse et Grèce. Le Messie faisant la transition, on oppose paganisme et christianisme, et le troisième terme de cette opposition, le Moyen Âge, sera trouvé au XVIIe siècle. Plus tard, on inventera les temps modernes, qu’on prolongera par l’époque contemporaine. De même les géographes ont inventé l’Europe, concept vide, etc. Erreurs de perspective des historiens qui n’ont pas su reconnaître le phénomène primordial de l’histoire (Marx aussi, qu’on ne peut accuser d’égocentrisme, avait trouvé un fait primordial, le fait économique, limite de notre entendement, dans la complexité de l’histoire, mais il n’en est pas question ici : second tour de passe-passe, qui permettra plus tard à l’auteur, la question désaxée, de classer le marxisme au rang des valeurs négligeables).

Au grec, l’homme apollinien qui ne voit que sa cité, sculpteur au dieu statique dont l’idéal est la sphère, succède l’homme faustien qui devient, qui a un dieu mystérieux, infini, et délaisse la statuaire pour la musique. Or les cultures, comme, tel animal, telle plante, ont une durée moyenne, d’environ mille ans, et peuvent être subdivisées en quatre saisons de deux à trois cents ans. Comparant biologiquement ces organismes, seront contemporains des faits situés au même stade de deux cultures et y jouant un rôle homologue. Le synchronisme permet d’apprécier le degré de développement d’une culture et en quelque sorte de prophétiser sa destinée. La philosophie s’est demandé si le monde extérieur existait, puis s’il était bon : à un troisième stade la réalité extérieure devient un symbole de la vie collective. Je ne puis qu’indiquer ici combien Spengler est victime de sa propre critique lui qui à des entités mortes ne substitue que des entités qu’il croit vivantes, les cultures, contre lesquelles son scepticisme historique cesse brusquement de s’exercer.

À l’art grec, euclidien, statique, s’oppose l’art occidental, dynamique, analogue aux mathématiques modernes, caractérisé dans la musique par le contrepoint et la fugue. De même la morphologie historique au lieu de considérer l’histoire de chaque nation règle l’histoire d’une culture comme une fugue où chaque nation soumise à un devenir différent joue sa partie, invention du thème fondamental, jusqu’à l’accord final,

  1. Faut-il noter que cet intéressant essai parut dans le Mercure de France dont M. Louis Dumur est l’historien habituel pour ce qui est de la Grande Guerre, avec Mme Rachilde s’entend. Cette revue de second ordre est un centre d’idéologies réactionnaires qui méritera un jour un bon coup de balai.