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le surréalisme et la peinture

à une même démarche de son esprit, je sais trop bien que c’est toujours la même apparence, ou inapparence, qui est cernée.


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Man Ray

Les femmes très élégantes et très belles qui exposent jour et nuit leurs cheveux aux terribles lumières de l’atelier de Man Ray n’ont certes pas conscience de se prêter à une démonstration quelconque. Comme je les étonnerais en disant qu’elles y participent au même titre qu’un canon de quartz, qu’un trousseau de clés, que le givre ou que la fougère ! Le collier de perles glisse des épaules nues sur la page blanche, ou vient le prendre un rayon de soleil, parmi d’autres éléments qui sont là. Ce qui n’était que parure, ce qui n’était rien moins que parure est abandonné simultanément au goût des ombres, à la justice des ombres. Il n’y a plus que des roses dans les caves. La préparation ordinaire qu’on fera tout à l’heure subir à la page ne différera en rien de celle qu’on fait subir à l’autre page pour y faire apparaître les plus chers traits du monde. Les deux images vivent et meurent du même tremblement, de la même heure, des mêmes lueurs perdues ou interceptées. Elles sont presque toujours aussi parfaites, il est bien difficile de penser qu’elles ne sont pas sur le même plan, on dirait qu’elles sont aussi nécessaires l’une à l’autre que ce qui touche à ce qui est touché. Sont-ce cheveux d’or ou cheveux d’ange ? Comment reconnaître la main de cire de la vraie main ?

Pour qui sait mener à bien la barque photographique dans le remous presque incompréhensible des images, il y a la vie à rattraper comme on tournerait un film à l’envers, comme on arriverait devant un appareil idéal à faire poser Napoléon, après avoir retrouvé son empreinte sur certains objets.

Ô vie, vie à contre-cœur, jeu mortellement intéressant, jeu qui n’est capable que de trop durer ! Si l’intelligence pouvait encore aujourd’hui avoir son temple, si tout n’était pas irrévocablement perdu, si les vieillards n’étaient toujours prêts à assouvir dans le sang des hommes jeunes leur épouvantable soif, si — soyons précis, — l’atroce M. Poincaré cessait de paraître au balcon des cimetières, la nuit, si la dénonciation du mal ne venait d’instant en instant briser notre élan vers le bien, et si seulement nous nous rencontrions dans cette ville déserte, André Masson et moi, que n’aurions-nous pas à nous dire que, dans les circonstances présentes, pourtant, nous ne nous disons pas ? La réticence absurde oscille entre nous de prunelle à prunelle. Rien de ce que nous entoure ne nous est objet, tout nous est sujet. À quoi bon la peinture, à quoi bon telle ou telle méditation sur la peinture ! N’en parlons plus. Parlons à mots couverts de l’alibi que nous nous donnons pour ne pas être à cent mille lieues d’où nous sommes. Aucune règle n’existe, les exemples ne viennent qu’au secours des règles en peine d’exister. Pigeon vole ! Poisson vole ! Flèche vole ! Flèche vole contre pigeon vole ! Poisson vole (certain poisson). Poisson aussi ne vole pas ! Pomme monte et tombe ! Jet d’eau soutient œuf qui ne tombe et ne monte pas ! Femme chérit homme qui aime femme qui craint homme. Vaudevilles !

J’aime André Masson et c’est pure condescendance envers mes gardiens si parfois je simule moi-même autre chose que la folie furieuse. « L’imagination pure, dit Poe, choisit, soit dans le Beau, soit dans le Laid, les seuls éléments qui n’ayant jamais été associés encore conviennent le plus avantageusement à ces combinaisons. Le composé ainsi obtenu revêt toujours un caractère de beauté, ou de sublimité proportionnel aux qualités respectives des parties mises en présence, lesquelles doivent être considérées elles-mêmes comme divisibles, c’est-à-dire comme résultant de combinaisons antérieurement réalisées. Or, par une singulière analogie entre les phénomènes chimiques naturels et ceux de la chimie de l’intelligence, il arrive souvent que la réunion des deux éléments donne naissance à un produit nouveau qui ne