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LE SURRÉALISME ET LA PEINTURE


ou le mot : nuage, après les avoir abstraits de ce qui se passe pour leur ordre logique et qui n’est en bien des cas qu’un ordre conventionnel, comme le coq au-dessus du clocher, ou passager comme les statues de cire qui n’ont pas encore quitté l’atelier du fabricant pour aller prendre place, les unes à la vitrine des grands magasins, les autres au Musée Grévin, après nous avoir fait assister de la sorte à la formation de nouveaux êtres, non plus hybrides ou monstrueux que l’agave, que le sphinx, que l’aptérix ou qu’une machine moderne à cercler les tonneaux, c’est ainsi que Max Ernst a commencé dès maintenant à interroger la substance des objets, à lui donner toute licence pour décider à nouveau de leur ombre, de leur attitude et de leur forme. Il naît sous son pinceau des femmes héliotropes, des animaux supérieurs qui tiennent au sol par des racines, d’immenses forêts vers lesquelles nous porte un désir sauvage, des jeunes gens qui ne songent plus qu’à piétiner leur mère. Les tableaux de cette nouvelle manière seront vraisemblablement soumis aux mêmes risques et courront les mêmes chances merveilleuses que les précédents. Une sorte d’évidence naturelle, totalement imprévisible, choisira parmi eux. Ici encore la surréalité et non la réalité reprendra ses droits. S’il arrive à Max Ernst, tel ou tel jour, de nous faire souvenir plus gravement de cette vie (et de nous émouvoir d’autant plus qu’il nous en fait souvenir) nous saurons du moins par quel admirable couloir nous y rentrons comme nous rentrerions dans une vie antérieure. Il ne sera pas trop tôt.

Attendons impatiemment le passage de Max Ernst à une autre, et encore à une autre époque, comme on dit curieusement à propos des peintres, attendons pour voir se réaliser la synthèse de toutes les véritables valeurs que dans son domaine il lui aura été donné de reconnaître et de nous faire reconnaître tour à tour, et passons l’éponge sur le tableau noir de ce que je viens de dire avant de tracer une de ces magnifiques rosaces, analogue à celles dont s’enchanta Raymond Lulle, et à quoi l’entraînèrent les immortelles propositions que voici :

« Le fantôme est une ressemblance abstraite des choses par l’imagination ».

«  digestion est la forme par laquelle le digérant digère le digestible ».

«  signification est la révélation des secrets qui sont montrés avec le signe ».

«  beauté est une certaine forme spécieuse, reçue par la vue, ou par l’ouïe, ou par l’imagination, ou par la conception, ou par la délectation ».

«  nouveauté est une forme, à raison de laquelle, le sujet est habitué de nouvelles habitudes ».

«  est l’habitude de la privation de la lumière ».

«  création dams l’Eternité, est l’idée : et dans le temps est la créature ».

«  Compréhension est la ressemblance de l’Infinité, et l’appréhension de la finité ».


Presque en même temps que Max Ernst, mais dans un esprit assez différent, à première vue quelque peu contraire, Man Ray est parti, lui aussi, de la donnée photographique mais, loin de se fier à elle, de n’utiliser qu’après coup selon le but qui est le sien le lieu commun de représentation qu’elle nous propose, il s’est appliqué d’emblée à lui ôter son caractère positif, à lui faire passer cet air arrogant qu’elle avait de se donner pour ce qu’elle n’est pas. Si, en effet, pour le même Raymond Lulle, « le miroir est un corps diaphane disposé à recevoir toutes les figures qui lui sont représentées », on n’en saurait dire autant de la plaque photographique, qui commence par exiger de ces figures une attitude propice quand elle ne les surprend pas dans ce qu’elles ont de plus fugitif. Les mêmes réflexions s’appliqueraient, du reste, à la prise de vues cinématographiques, de nature à compromettre ces figures non plus seulement dans l’inanimé, mais encore dans le mouvement. L’épreuve photographique prise en elle-même, toute revêtue qu’elle est de cette valeur émotive qui en fait un des plus précieux objets d’échange (et quand donc tous les livres valables cesseront-ils d’être illustrés de dessins pour ne plus paraître qu’avec des photographies ?) cette épreuve, bien que douée d’une force de suggestion particulière, n’est pas en dernière analyse l’image fidèle que nous entendons garder de ce que bientôt nous n’aurons plus. Il était nécessaire, alors que la peinture, de loin distancée par la photographie dans l’imitation pure et simple des choses réelles, se posait et résolvait comme on l’a vu le problème de sa raison d’être, qu’un parfait technicien de la photographie, qui fût aussi de la classe des meilleurs peintres, se préoccupât, d’une part d’assigner à la photographie les limites exactes à quoi elle peut prétendre, d’autre part de la faire servir à d’autres fins que celles pour lesquelles elle paraissait avoir été créée, et notamment à poursuivre pour son compte et dans la mesure de ses moyens propres, l’exploration de cette région que la peinture croyait pouvoir se réserver. Ce fut le bonheur de Man Ray d’être cet homme. Aussi jugerais-je vain de distinguer dans sa production ce qui est portraits photographiques, photographies dites fâcheusement abstraites et œuvres picturales proprement dites. Aux confins de ces trois sortes de choses qui sont signées de son nom et qui répondent