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LE SURRÉALISME ET LA PEINTURE

la culture extraordinaire, captivante, paradoxale, et sans prix. Dans ses « collages », les premières œuvres que nous connaissions de lui, il utilisait, non plus comme on l’avait fait jusqu’alors, selon une volonté de compensation de la matière (le papier peint pour la toile peinte, le coup de ciseau pour ce qui le distingue du coup de pinceau, voire la colle pour faire des taches) mais des éléments doués par eux-mêmes d’une existence relativement indépendante, et tels par exemple que seule la photographie peut nous livrer une lampe, un oiseau ou un bras. Il ne s’agissait de rien moins que de rassembler ces objets disparates selon un ordre qui fût différent du leur et dont, à tout prendre, ils ne parussent pas souffrir, d’éviter dans la mesure du possible tout dessein préconçu et, du même œil qu’on regarde de sa fenêtre un homme, son parapluie ouvert, marcher sur un toit, du même esprit qu’on pense qu’un moulin à vent peut, sans disproportion aucune, coiffer une femme puisqu’il la coiffe dans la « Tentation » de Bosch, d’établir entre les êtres et les choses considérés comme donnés, à la faveur de l’image, d’autres rapports que ceux qui s’établissent communément et, du reste, provisoirement, de la même façon qu’en poésie on peut rapprocher les lèvres du corail, ou décrire la raison comme une femme nue jetant son miroir dans un puits.


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Max Ernst

Il n’est pas douteux que ces éléments, pris dans cette pièce, dans la campagne, au fond d’un atelier d’usine, ou dans la mer, ne sont pas tout à fait à la merci du geste humain qui, en tant que représentations, les confronte. Ceux d’entre nous qui ont assisté au développement de l’œuvre de Max Ernst leur ont parfois vu prendre des attitudes hostiles, hurler de se trouver en présence. Il fallait, il était indispensable qu’il en fût ainsi. Ne convient-il pas, en effet, que l’horreur que nous procurent les choses d’ici-bas (« Nature ! nature ! — nous écrions-nous aussi en sanglotant — l’épervier déchire le moineau, la figue mange l’âne et le ténia dévore l’homme ! ») ne convient-il pas que cette horreur s’empare de nous à considérer certains épisodes du rêve de Max Ernst, qui est un rêve de médiation ? La disjonction haineuse de quelques-unes des parties est, ici encore, bien faite pour nous décider à jouer le tout pour le tout. En cela réside peut-être la possibilité de vivre, de vivre libre, pour Max Ernst, à cela tient peut-être son humanité profonde. J’aime m’assurer qu’il souffre des mêmes choses que moi, que la cause obscure à laquelle nous nous dévouons, pour lui pas plus que pour moi, n’est gagnée. Ce qui l’émeut m’émeut et ce qui l’atteint, parfois me surpasse. Tout ce qu’il a délié du serment absurde de paraître ou de ne pas paraître à la fois, tout ce