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le surréalisme et la peinture

mutuellement, attirés sans doute par quelque alléchante pourriture.

Le porc s’était aperçu de mon trouble et reprenant ses questions me dit :

— Quel est-il et qui suis-je ?

— Le même sans doute, l’inventeur des wagons à bestiaux ainsi appelés parce qu’ils servent surtout au transport des cartes à jouer, et principalement des trèfles qu’on est obligé d’étendre lors de la belle saison dans les prés verts, afin qu’ils acquièrent les qualités de souplesse et d’endurance que n’ont pas les autres cartes.

L’animal partit d’un grand éclat de rire et murmura dédaigneusement :

— Plaisantin.

Puis il se mit à chanter :

Dans la plaine il y a une serrure
une serrure que je connais
Elle brille et se gondole,
quand les oiseaux tournent autour

Dans la plaine il y a un chameau
un chameau qui n’a pas de dents
Je lui en ferai avec un miroir
et ses bosses seront mon bénéfice

Dans la plaine il y a un tuyau
où se cache mon destin

Dans la plaine il y a un fauteuil
Je m’assiérai dans le fauteuil
et les tribunes seront à mes pieds
Il fera chaud il fera froid,

j’élèverai des scolopendres
que je donnerai aux couturières
et j’élèverai des bâtons de chaise
que je donnerai aux bicyclettes

Longtemps encore il continua sur ce ton, ce qui était loin de me rassurer. Soudain comme nous approchions d’une forêt qui depuis longtemps barrait l’horizon, je vis la forêt quitter le sol et venir galoper à nos côtés après s’être inclinée avec respect devant mon compagnon qui, à cet instant, me parut plein d’une insupportable suffisance. Ils eurent une longue conversation dont je pus saisir quelques mots qui ne me donnèrent aucune idée de ce dont il était question !

— …Là-bas, dans ce pavillon… Que veulent donc dire ces lettres : S. G. D. G… Si nous visitions la section maritime… Pourvu que nous arrivions à bon port… etc.

Cependant je devinais qu’il s’agissait de moi et ne doutais pas qu’ils eussent résolu de me faire un mauvais parti, aussi m’apprêtai-je à me défendre. Je n’en eus pas le temps. La forêt me saisit par derrière, m’immobilisa en un rien de temps, puis me rentra la tête dans le ventre, me colla les bras sur les fesses et m’emporta en me faisant rouler comme un tonneau qu’on pousse devant soi. · Et depuis ce jour je parcours le monde,

Benjamin Péret.

LE SURRÉALISME ET LA PEINTURE[1]

…Seuls ? Il n’y aura pas d’appel. Présent, absent, présent, je me garde de prévoir la réponse que nul ne sera contraint de faire. À qui pourrait-il appartenir d’entraîner dans sa ruine les obligations que de vingt à trente ans, d’un commun accord, nous nous sommes créées ? C’est même pourquoi il me plaît tant de m’avancer sur ce terrain, à notre époque des plus glissants, qu’est, au sens moral, la conscience des peintres et, ce qui ne va pas sans un minimum d’arbitraire, de répondre, sa vie durant, de celui-ci quand j’ai perdu toute confiance en celui-là. Je n’écoute, bien entendu, que la voix qui en moi ne soutient certains noms d’hommes que pour mieux en étouffer d’autres. La même voix qui me dit que ceci est sûr et que cela est dangereux, qui me fait trouver une raison d’être non plutôt en ceci qu’en cela, mais en l’opposition même de ceci et de cela.

Que les paris aillent leur train au-delà du sort ! Il y a, je ne crains pas de le dire, au moins aujourd’hui, sur la route des peintres, de ceux qui ont commencé par se tenir le mieux, une bête grotesque et puante qui s’appelle l’argent. Après des années d’effort désintéressé et de conquête, il se peut fort bien que tout à coup ils en subissent les assauts. Je ne parle pas de ceux qui s’offrent à elle. Mais sous la forme de cet abominable succès venant à qui sait attendre, elle se jette littéralement sur ceux qui n’en veulent pas. Si les poètes, de temps presque immémorial, sont préservés de cette rencontre, les peintres savent à quoi, un jour ou l’autre, ils ne peuvent manquer d’avoir affaire. Il y aurait lieu de rechercher à quoi tient cette différence de traitement. À quelle dégradation de l’esprit, européen au moins, peut bien répondre l’établissement de la valeur marchande accordée aux œuvres plastiques ? Est-ce usure de la part de ceux qui « font les prix » ? Une grande partie de l’espèce humaine ne distingue-t-elle et ne chérit-elle, dans les moyens propres à chaque art, que ce qu’il paraît y avoir en eux de plus matériel ? Sans doute, ici encore, faut-il admettre que la faute en est au premier qui, ayant enclos un paysage ou une figure

  1. Voir les numéros 4, 6 et 7 de la R. S.