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corps à corps

Pipe en Terre arpente de long en large l’escalier horizontal dans l’espoir de retrouver ses bouteilles vides, mais c’est en vain : celles-ci se sont depuis longtemps enfuies, grâce aux pousses printanières des géraniums qui surgissent si fréquemment sur le ventre des femmes enceintes pour les faire accoucher avant terme.


Et la petite taupe blanche s’en fut comme elle était venue, comme un croissant de lune. Je me trouvai de nouveau seul, désespérément seul, les pieds attachés à une sorte de traîneau que décorait une ribambelle de petits porcs semblables au drapeau des États-Unis. Ceci me montra que le traîneau était fait de glands et de fécule de pomme de terre. Pendant que je réfléchissais au peu de solidité d’un semblable véhicule, celui-ci se mit en mouvement pendant que les porcs s’enfuyaient en criant :

« Lafayette me voici !… Over there !… On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs… des œufs… des œufs… des œufs… des œufs… des œufs… des œufs… Les nègres ont les pieds plats… Les Suédois mangent des moules… » et mille autres choses où le mot « cheveux » revenait souvent.

Seul un jeune porc brillant comme un sou neuf était resté sur le traîneau et, ce véhicule s’étant arrêté à proximité d’une oreille d’éléphant naturalisée, m’adressa la parole.

— Je vis dans les cabanes des cantonniers, je mange des traîneaux, je lis Paul Bourget en commençant par la fin de chaque ligne, je joue de la musique de table de nuit, je caresse les doigts des mariées et j’héberge un homme politique connu dans la forêt de mes soies. Quel est-il et qui suis-je ?

Mais au lieu de lui répondre, je lui demandai :

— Avez-vous dû faire queue ?

— Asseyez-vous, je vous prie, me répondit-il. J’ai été un peu enrhumé et vous voilà sauvé.

— Je ne comprends rien à toute cette histoire, ne pus-je m’empêcher de lui dire, voici que les choux-fleurs encombrent les chambres sans air et jaunissent lorsque par aventure les petites araignées de cristal viennent à les rencontrer, faisant le soir leur habituelle partie de manille dans les squares déserts, lesquels sont cependant depuis longtemps interdits au public.

Mais ce stupide animal ne me tenait pas quitte à si bon compte et me prenant de nouveau à partie, me demanda :

— Monsieur veut-il passer sa robe de chambre ?

Espérant m’en débarrasser, je répliquais sur le même ton niais qu’il avait adopté :

— Je ne trouve pas mes pantoufles.

De nouveau le porc me demanda :

— Monsieur désire-t-il que je lui donne un coup de peigne ?

— Faites-moi seulement la raie. Pour le reste je me peignerai bien moi-même, lui répondis-je excédé.


Le cadavre exquis

Pendant plus d’une journée le traîneau glissa rapidement entre une double haie de porc-épics qui contemplaient gravement notre bizarre attelage et s’enfuyaient aussitôt que nous étions disparus en poussant des cris si perçants que les oiseaux effrayés tombaient sur le sol où ils restaient plaqués comme un morceau de mastic sur une glace. Je commençais à m’inquiéter, d’autant plus que dans l’air flottait une indéfinissable odeur qui tenait du parfum des artichauts et de celui d’une chevelure bien soignée. Et notre vitesse qui croissait sans cesse ! Et le porc qui était devenu grand comme une église ! Cet animal m’inquiétait plus que je ne saurais le dire avec son immense face pâle barrée verticalement d’une épée et d’un pistolet, tatoués de chaque côté d’un énorme nez supportant une grande canne à laquelle étaient attachés plus de cinquante ballons d’enfants. À vrai dire, ces ballons dont je ne comprenais pas l’usage m’intriguaient beaucoup. C’est que la plupart d’entre eux contenaient un homme à barbe dont la poitrine ornée d’un grand nombre de décorations rouillées, s’ouvrait comme une porte et laissait voir à l’intérieur une poubelle débordant de rats énormes qui se pressaient et s’écrasaient