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la question de l’analyse

langues modernes nous envient. Ces instincts emplissent le « soi », toute l’énergie existant dans le « soi », dirons-nous en abrégé, en émane. Les forces à l’intérieur du « moi » n’ont pas non plus d’autre origine, elles dérivent de celles contenues dans le « soi ». Et que veulent ces instincts ? La satisfaction, c’est-à-dire que se produisent des situations dans lesquelles les besoins corporels puissent s’éteindre. La chute de la tension du désir est ressentie, par l’organe de notre perception consciente, comme un plaisir ; une croissance de cette même tension bientôt comme un déplaisir. De ces oscillations naît la suite des sensations « plaisir-déplaisir » qui règle l’activité de tout l’appareil psychique. Nous appelons cela « la souveraineté du principe du plaisir ».

Des états insupportables prennent naissance quand les aspirations instinctives du « soi » ne trouvent pas à se satisfaire. L’expérience montre bientôt que de telles satisfactions ne peuvent être obtenues qu’à l’aide du monde extérieur. C’est alors que la partie du « soi » tournée vers le monde extérieur, le « moi », entre en fonction. Si toute la force motrice qui fait se mouvoir le vaisseau est fournie par le « soi », le « moi » est en quelque sorte celui qui assume la manœuvre du gouvernail, sans laquelle aucun but ne peut être atteint. Les instincts du « soi » aspirent à des satisfactions immédiates, brutales, et n’obtiennent ainsi rien, ou bien même se causent un dommage sensible. Il échoit maintenant pour tâche au « moi » de parer à ces échecs, d’agir comme intermédiaire entre les prétentions du « soi » et les oppositions que celui-ci rencontre de la part du monde réel extérieur. Le « moi » déploie son activité dans deux directions. D’une part il observe, grâce aux organes des sens, du système de la conscience, le monde extérieur, afin de saisir l’occasion propice à une satisfaction exempte de périls ; d’autre part il agit sur le « soi », tient en bride les passions de celui-ci, incite les instincts à ajourner leur satisfaction ; même, quand cela est nécessaire, il leur fait modifier les buts auxquels ils tendent ou les abandonner contre des dédommagements. En imposant ce joug aux élans du « soi », le « moi » remplace le principe du plaisir, primitivement seul en vigueur, par le « principe » dit « du réel » qui certes poursuit le même but final, mais en tenant compte des conditions imposées par le monde extérieur. Plus tard, le « moi » s’aperçoit qu’il existe, pour s’assurer la satisfaction, un autre moyen que l’adaptation, dont nous avons parlé, au monde extérieur. On peut, en effet, agir sur le monde extérieur afin de le modifier, et y créer exprès les conditions qui rendront la satisfaction possible. Cette sorte d’activité devient alors le suprême accomplissement du « moi » ; l’esprit de décision qui permet de choisir quand il convient de dominer les passions et de s’incliner devant la réalité, ou bien quand il convient de prendre le parti des passions et de se dresser contre le monde extérieur : cet esprit de décision est tout l’art de vivre.


Le cadavre exquis

« Et comment le « soi » se laisse-t-il ainsi commander par le « moi », puisque, si je vous ai bien compris, il est, des deux, le plus fort ? »

Oui, cela va bien, tant que le « moi » est en possession de son organisation totale, de toute sa puissance d’agir, tant qu’il a accès à toutes les régions du « soi » et y peut exercer son influence. Il n’existe donc entre le « moi » et le « soi » pas d’hostilité naturelle, ils font partie d’un même tout et, dans l’état de santé, il n’y a pas lieu pratiquement de les distinguer.

« J’entends. Mais je ne vois pas, dans cette relation idéale, la plus petite place pour un trouble maladif ».

Vous avez raison : tant que le « moi », dans ses rapports avec le « soi », répond à ces exigences idéales, il n’y a aucun trouble nerveux. La porte d’entrée de la maladie se trouve là où on ne la soupçonnerait pas, bien que quiconque connaît la pathologie générale ne puisse s’étonner de le voir confirmer ici : les évolutions et les différenciations les plus importantes sont justement celles qui portent en elles-mêmes le germe du mal, de la carence de la fonction.