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une valeur, signifient quelque chose. Ce sens des rêves, la psychologie de l’école n’a jamais pu le fournir. Elle n’a su quoi faire du rêve ; les quelques explications qu’elle en hasarda furent non-psychologiques : ramener le rêve à des excitations sensorielles, ou bien à un sommeil plus ou moins profond des diverses parties du cerveau, etc. Mais on est en droit de dire qu’une psychologie qui ne sait pas expliquer le rêve n’est pas utilisable pour l’intelligence de la vie psychique normale et ne peut prétendre à s’appeler une science.

« Vous devenez agressif : vous devez avoir touché un point sensible. J’ai, en effet, entendu dire que l’on attache, dans l’analyse, une grande importance aux rêves, qu’on les interprète, qu’on découvre en eux le souvenir d’événements réels, etc. Mais aussi que l’interprétation des rêves est livrée au bon plaisir de l’analyste, et que les analystes eux-mêmes n’en ont pas fini encore avec les différends sur la manière d’interpréter les rêves et le droit d’en tirer des conclusions. En serait-il ainsi, vous feriez mieux de ne pas souligner d’un trait si épais la supériorité de l’analyse sur la psychologie classique. »

Vous dites là des choses fort justes. Il est exact que l’interprétation des rêves a acquis, dans la théorie comme dans la pratique de l’analyse, une importance incomparable. Et si je parais agressif, ce n’est que pour me défendre. Mais quand je pense à tout l’esclandre que certains analystes ont fait à propos de l’interprétation des rêves, je pourrais désespérer et donner raison à l’exclamation pessimiste de notre grand satirique Nestroy : « Tout progrès n’est jamais qu’à demi aussi grand qu’il parut d’abord ! » Cependant avez-vous jamais vu les hommes faire autre chose qu’embrouiller et défigurer tout ce qui leur tombe sous la main ? Un peu de prudence et de maîtrise de soi suffisent à éviter la plupart des dangers de l’interprétation des rêves. Mais pensez-vous que nous arrivions jamais à l’exposé que j’ai à vous faire, si nous nous laissons ainsi détourner de notre sujet ?

« Oui : vous voulez m’exposer les bases fondamentales de la nouvelle psychologie, si je vous ai bien compris. »

Je ne voulais pas commencer par là. J’avais l’intention de vous faire voir quelle conception, au cours des études analytiques, nous nous sommes formée de la structure de l’appareil psychique.

« Puis-je demander ce que vous appelez « appareil psychique » et avec quoi il est construit ? »

Vous verrez bientôt clairement ce qu’est l’appareil psychique. Mais ne demandez pas, je vous en prie, de quoi il est bâti ! Cela est sans intérêt psychologique, et reste à la psychologie aussi indifférent qu’à l’optique de savoir si les parois du télescope sont en métal ou en carton. Nous laisserons de côté « l’essence » des choses pour ne nous occuper que de leur situation dans « l’espace ». Nous nous représentons l’appareil inconnu qui sert à accomplir les opérations de l’âme en vérité comme un instrument, fait de l’ajustage de diverses parties — que nous dénommons « instances ». À chacune est attribuée une fonction particulière, elles ont entre elles un rapport spatial constant, c’est-à-dire le rapport spatial « en avant ou en arrière » — « superficiel ou profond » n’exprime pour nous d’abord que la régulière succession des fonctions. Me fais-je encore comprendre ?

« Difficilement. Peut-être comprendrai-je plus tard, mais voilà certes une singulière anatomie de l’âme, dont l’équivalent ne se rencontre pas dans les sciences naturelles ! ».

Que voulez-vous, c’est une hypothèse comme il y en a tant dans les sciences. Les premières de toutes ont toujours été assez grossières. « Open to revision » peut-on en dire. Je trouve superflu de me servir de la locution devenue si populaire « comme si ». La valeur d’une telle « fiction » — ainsi que l’appellerait le philosophe Weininger — dépend ce qu’on en peut faire.

Et je poursuis : Restant sur le terrain de la sagesse courante, nous reconnaissons dans l’homme une organisation psychique intercalée entre, d’une part, ses excitations sensorielles et la perception de ses besoins corporels, d’autre part, ses actions motrices ; organisation servant d’intermédiaire entre les deux en vue d’un but bien défini. Nous appelons cette organisation son « moi ». Voilà qui n’est pas nouveau, chacun de nous fait cette hypothèse sans être philosophe, et quelques-uns même bien qu’ils le soient. Mais nous ne croyons pas avoir ainsi épuisé la description de l’appareil psychique. En plus de ce « moi », nous reconnaissons un autre territoire psychique, plus étendu, plus vaste, plus obscur que le « moi », et ce territoire nous l’appelons le « soi ». La relation existant entre le « moi » et le « soi » est ce qui va nous occuper d’abord.

Vous allez sans doute trouver mauvais que nous ayons choisi, pour désigner nos deux instances ou provinces psychiques, des mots courants au lieu de vocables grecs sonores. Mais nous aimons, nous autres psychanalystes, rester en contact avec la façon de penser populaire et préférons rendre utilisables à la science ses notions que les rejeter. Nous n’y avons aucun mérite, nous sommes contraints d’agir ainsi, parce que nos doctrines doivent être comprises par nos malades, souvent très intelligents mais pas toujours versés dans les humanités. Le « soi » impersonnel cor-