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Tu ne sais plus souffrir,
Tu recules, insensible, invariable, concret,
Dans l’oubli de la force et de toutes ses formes
Et ton ombre est une serrure.

Paul Eluard.


Picasso

LE TOUR DE L’IVOIRE

À l’abri des chênes couverts de vermine
Des chênes pleins de la verdure des morts
Ombre violette séparant la déchéance des horizons
Depuis la naissance de l’homme
À l’abri des arbres on ne rend pas la justice
Car la justice est une orfraie
Qui vagit la nuit pour endormir les chambres pleines d’amour
Les chambres mortelles aux enfants nouveaux-nés
Déguisée elle tend une main insalubre
Aux pauvres qui désespèrent de la noirceur des murs
Les gardes-chiourmes rugissent de joie en suçant des menottes
Plus glacées qu’un clocher d’église
La foule se rue il le faut déjà prévoir vers les bals dits populaires
La justice la justice
Elle finira bien par s’étrangler en toussant
Chat perdu derrière un trottoir gluant
Fenêtre lamentable ne s’ouvrant que pour s’éteindre
Les lueurs qui se frôlent le long des corps imprévoyants
Demandent le chemin en pleurant le long des réverbères
Pendant que les agents deviennent chauves
Que les vitraux des chapelles s’anéantissent
Sous la pression des mains moites des femmes qui ne furent jamais vierges
Et pour qui tout boulevard ne fut qu’une passion
Demander le chemin ou ne répondra pas
Épaules exilées dans les nuits sans fin
Mines d’ombres étranglées
Des lustres jaillissent par étincelles des vagues lointaines
Il pleut à perdre haleine
Un épervier bondit danseur désorienté
L’espace se meut avec souplesse au-dessus des forêts métalliques
D’où s’envolent des corbeaux musiciens aux froides destinées
Par delà la palpitation rapide des landes
Clouées au sol par les menhirs
Épouvantails de nuages ébauchés ou mourants
Par delà les virginités dépolies des déserts où s’endort le soleil
L’ennui de ce jour s’est assis
Couvert de secondes comme un prêtre de poux
La carcasse de ces monstres s’est effondrée
De sa poussière s’échappent des oiseaux blancs et dorés
Joie des plumes rapidité des ailes
Traîne de joyaux évadés des yeux des amoureuses