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ET LA LUNE DONNAIT, ET LA ROSÉE TOMBAIT

des chagrins. Oh ! j’en ai. Je vous les dirai plus tard. Ne vous fâchez pas. Pardonnez-moi. Voulez-vous mes lèvres, mes yeux, mes cheveux, mon souffle entier ? Prenez tout. Tout cela est à vous. Vous savez me comprendre, vous ! Oh ! mais je prends aussi tout de vous, n’est-ce pas ! On donne tout à son Dieu. Et je suis le vôtre, n’est-ce pas mon bon dieu de sentiment ? Merci ! merci ! Oh ! maintenant j’oublie, et maintenant ce que j’ai dans l’âme, c’est une brise de parfums au soleil du Soir. C’est un bleu tendre mêlé d’or et d’argent qui caresse la vue. C’est une douceur mélancolique ou emportée comme un mot au Christ. C’est un enfant qui sourit à sa mère. C’est sa mère qui le regarde. Ce sont des cœurs qui dansent, s’entrechoquent en criant : Amour ! amour ! Et puis, vous l’entendez, c’est la folie qui me possède et qui ricane de mes paroles. Qu’est-ce que cela me fait. Aimez-moi ! oh ! oui, aimez-moi ! Mon Dieu, on dit ce qu’on a dans l’âme. Voilà tout.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il se fit un si grand feu autour du Jeune homme et de la Française, qu’ils n’en sortirent que consumés, en murmurant :

L’un : « Tu ne seras plus qu’à moi ?

L’autre : « Je ne serai plus qu’à toi !

Ils avaient en prononçant cela, un visage extraordinaire, surtout le Jeune homme. Après quelques-unes de ces entrevues qu’on devrait nommer, quand elles ont lieu entre homme et femme — RENCONTRE AVEC DIEU, — Un beau soir, le Jeune homme à qui la Française avait fait part des soupçons de l’Anglais, se promenait dans le jardin avec des rêves contraires à ceux que donnent toute espèce de crainte. Il était haletant d’espoir et de frisson ; il attendait, et la tête haute, les cheveux au vent sous un ciel étoile, il balbutiait :

« Âme de mon amante, âme belle, grande, immense, religieuse, expressive, toute d’amour, toute de Dieu, comme tu coules en mon âme, si j’ai une âme, moi, car on est tenté de croire que toi seule es toutes les âmes. Tes pensées sont plus pures que la rosée sur la feuille verte, plus vastes que le monde ; aussi suaves qu’un baiser de mère. Ta voix, tantôt est scintillante comme les étoiles du Levant, tantôt, triste comme le souvenir d’un doux Passé ; tantôt, énergique comme un peuple qui veut du pain, — puis rêveuse comme un œil bleu. Cœur de mon amante, Dieu te bénit, heureux que tu es ! Dieu est en toi. Toi, c’est Dieu qui dit. : Les jours sont-ils assez brillants pour t’éclairer ? Non, c’est toi qui éclaires les jours.

C’est toi qui rends chaud le soleil ; il ne le serait pas tant, si tu ne le voyais pas.

Les fleurs n’auraient point d’odeur, si tu ne venais les respirer.

Les nuits ne seraient pas aussi soupirantes, si tu ne les écoutais pas.

La Lune ne montrerait pas un aussi bel argent, si tes yeux ne le polissaient.

Les eaux ne seraient pas aussi fraîches et aussi bercées, si tu ne foulais pas l’herbe qui les flatte.

Le gosier des oiseaux mignons ne serait pas aussi mélancolique, si tu n’agitais par ton passage les feuilles où ils se cachent.

Âme de mon amante, âme belle, grande, immense, religieuse, expressive, toute d’amour, toute de Dieu, comme tu coules en mon âme, si j’ai une âme, moi, car on est tenté de croire que toi seule es toutes les âmes. »

Le Jeune homme balbutiait cela (nous avons dit qu’il portait la tête haute), lorsqu’il crut apercevoir dans la chambre de la Française, derrière les rideaux en gaze très-claire des fenêtres, un débat singulier. Il fixa ses yeux, cloua ses oreilles aux sons, et en effet il vit :

Deux têtes, une d’homme, une de femme, s’agiter, s’approcher, s’éviter, se réunir, se reculer, disparaître, reparaître de nouveau, pour s’agiter et s’éloigner encore ;

Puis quatre bras qui s’entremêlaient et formaient des ombres forcées effrayantes.

Il entendit :

Un bombardement d’injures que vomissait la tête d’homme et qui mitraillait la tête de femme.

Puis subitement, plus rien !… ni en ombres, ni en sons.

Ce silence et cette obscurité furent la fin du monde pour le Jeune homme qui, sans réfléchir que la Femme est faible et l’Homme fort, met la main à sa poche, et ensuite à sa bouche.

Un peu après, et tout à coup, l’Anglais qui s’était blotti contre une des croisées, — reprenant haleine, n’ayant rien pu obtenir de la Française, — l’Anglais furieux et demi-nu l’ouvre violemment, s’élance par elle dans le jardin, avec un pistolet qu’il décharge, comme un tigre mord, sur une tache brune qu’il voyait au jardin. La balle de l’arme alla s’enfouir dans des chairs mortes : car un poison venait de finir de dévorer le cœur du Jeune homme, que des convulsions avaient traîné quelque temps.

Le Jeune homme c’était la tache brune. —

L’Anglais, redoutable boxeur, — ayant jeté son arme pour palper le Jeune homme, — hors de lui d’avoir tiré sur une ombre de vie, planta son poing dans ses côtes. —

On accourt, on enlève un cadavre et un quasi-cadavre ; car le sang de l’Anglais précipitait son flux dehors et dedans sa poitrine, avec une effroyable rapidité.

Lorsque la Française eut devant elle son amant mort, elle en tomba raide comme un cercueil.

On enterra le Jeune homme ; et quand la fièvre qui voilait les jours de la Française eût cessé, — aussitôt qu’elle pût agir un