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et la lune donnait, et la rosée tombait

— Vous m’aimez donc bien !

— Non !

(La Française pâlit.)

Inventez, ou cherchez et trouvez ; mais ce n’est pas de l’amour, ce que j’ai en moi, pour vous. C’est quelque chose de si plein et de si chaste posé sur autre chose de si grand et de si saint, que toute pensée terrestre en s’y arrêtant y laisserait une souillure. Âme et vie, voyez-vous, corps et cœur ; à vous données, ces quatre choses, à vous données aussi vrai qu’il n’y aurait pas de jour sans soleil.

— Oh ! que je suis heureuse ! mon Dieu, grâce !

— Redoutez-vous la mort parée de délices ?

— Oh ! non ! Qu’elle vienne ! je la baiserai, comme je baise votre main.

— Et vous voulez que ce soit de l’amour, ce que j’éprouve pour vous ? Oh ! c’est je ne sais plus quoi, vraiment ! c’est comme une fureur angélique armée de félicité. Oh ! mais laissez ma main, vos lèvres ne sont faites que pour mes lèvres !

— Vous m’aimez donc bien !

— J’ai dit : Non !

— Oh ! c’est le plus grand oui de la terre !

— L’extase recommença ; mais elle se fondit peu à peu, et le Jeune homme tira de sa poche un billet qu’il devait remettre à la Française, s’il n’avait pu lui parler. Il le lut. Le voici :

 
Je ressens,
Une fièvre.
Je me souviens,
Qu’hier vous avez beaucoup ri, et m’avez regardé à peine.
Je crains,
Que vous ne m’ayez trouvé laid.
J’espère,
Que vous m’avez un peu compris.
Je désire,
Fondre mon cœur avec le vôtre.
Je veux,
Vous voir seule et vous brûler de quelques mots.
J’attends,
Une chose de vous.
Je suis,

Homme à commettre un crime (si cela peut convenir), lorsqu’on m’aimera (si c’est possible) ; homme à vengeance terrible, lorsqu’on aura VOULU tromper ma confiance et mes rêves.

Eh bien ! après cette lecture, qu’auriez-vous fait ?

— Je me serais élancée chez vous, en vous criant : — Oh ! je vous comprends ; oh ! je ne rirai plus ; oh ! je ne vous trompe pas ! — Auriez-vous été content ? Ma visite eût-elle valu votre billet ?

Le Jeune homme ne répondit pas, — Il venait encore de s’évanouir.

En ce moment, la Française se crut en Enfer, l’Anglais l’appelait. Cependant elle ne se sépara pas de sa Vie, sans appliquer sur son front un de ces frémissements de bouche qui feraient revenir un mort.

Puis la Française disparut comme un squelette qui sortirait d’une tombe ;

Et un bouillon de sang quitta le cœur du Jeune homme qui, tout étourdi, rentra dans sa chambre en disant : — Bien sûr je viens du Ciel ? Il le pensa encore davantage, quand il reçut le lendemain ces mots :

« Je suis à vous comme Marie à son fils. Prenez-moi. »

Les choses en étaient là, lorsque les larmes de la Française tombaient sur la tête du Jeune homme. Pleurait-elle de bonheur ou de remords ? car le Jeune homme allait bientôt se trouver seul avec elle dans le jardin. — Quoiqu’il en pût être, les deux amants ne tardèrent pas à mêler leurs deux âmes au souffle de la nuit. —

Lorsque le Jeune homme et la Française se firent face, le Jeune homme qui vit, au clair de la lune, le réseau larmoyant qui se balançait encore sur les regards de la Française, dit :

Vous pleurez, vous pleurez, vous ! Oh ! oh ! vous ! Comme le Ciel est injuste ! Vous, répandre des larmes ! Mon Dieu, qu’est-il donc arrivé ? Laissez ma bouche se tourner vers la vôtre sans qu’elle la touche, pour que je puisse sucer vos paroles avant l’air. Oh ! non ! je ne veux pas la toucher, car je veux vivre, à présent que je vous connais. Je veux vivre pour être immobile d’adoration devant vous. Je veux vivre pour être à genoux, joindre mes mains, vous voir et vous prier. Oh ! voyez, je suis tendre aujourd’hui, en cette nuit, en cet instant. Voyez ! oh ! Je vous aime ! oh ! oui ! je vous aime. Oh ! aimez-moi aussi ! J’ai tant besoin qu’on m’aime ! Oui ! Allons, ne pleurez plus ! Voulez-vous tout mon sang pour arrêter une de vos larmes ? Parlez ! Que vous êtes belle ! que je vous voie ! que je vous sente ! Oh ! — Ces pleurs, ils cessent. Presque un sourire. Grâces à vous ! Merci ! Vous êtes donc heureuse par moi, avec moi, pour moi, pour nous deux qui sommes UN. Je suis bien fier, allez ! je suis bien fier. Je ne peux plus vous dire aucune chose à présent. Mais regardez-moi, regardez ! Oh ! Qu’est-ce que j’ai donc, dites ?

— Mon Dieu, répondit la Française, il faut que vous sachiez aussi ce que j’ai le plus souvent dans l’âme. Eh bien donc ! ce que j’ai dans l’âme, c’est quelque chose de noir comme un drap de mort, et qui fait que je me sens mourir. Plusieurs fois, assise ou levée, je me dis : — Je vais donc mourir ! À l’heure qu’il est, j’ai encore envie de rendre mon cœur, mais d’amour. Voyez-vous, cette vie, la mienne, a été froissée ; elle s’est aigrie, fanée. J’ai bien