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ET LA LUNE DONNAIT, ET LA ROSÉE TOMBAIT

Pour le Jeune homme, il n’y eut plus alors de rêves qu’à travers les touffes de lilas et de genêts qui caressaient son ange passant contre elles. Toute sa vie marchait dans les allées tortueuses du jardin ; son cœur était serré d’angoisses délicates et palpitantes, et il se disait : « Peut-être m’attend-elle ? »

Aussitôt qu’un petit chien cessa d’aboyer par ordre de la Française, le Jeune homme, après s’être assuré de l’absence du Père et de l’Enfant, se précipita à la rencontre de la Mère, la saluant d’abord sans l’aborder, — puis l’abordant ensuite, tout brûlant, tout passionné, comme ivre.

Mais, hélas ! un charbon ardent venait de heurter un glaçon. La Française ne rougit pas, et se moqua presque de l’embarras du Jeune homme, qui dès lors sentit naître en lui un sentiment de dédain, de sécheresse, pas encore d’ironie, car il ne se possédait pas assez ; mais il se promit un second entretien pour se venger. Seulement, lorsque la Française prétend que le jardin où ils sont est un endroit public, — le Jeune homme répond qu’avec une intention ferme, on y peut s’isoler, et n’y rencontrer que telle personne convenant à telle autre.

La Française, à cela, n’eut point de répartie. Elle reconnaissait qu’elle aurait pu éviter le Jeune homme.

Alors elle parla de la cour d’Angleterre où elle était souvent reçue ; par quoi le Jeune homme ne parut pas trop séduit ou ébloui. Elle raconta ses plaisirs, ses fatigues. Oh ! comme le Jeune homme trembla de n’avoir à faire qu’à une de ces femmes accablées d’aventures, d’orgies et de dégoût ; et il le montra net à la Française qui le quittait lestement par un Bonsoir monsieur, auquel le Jeune homme répondit de même par un Bonsoir madame, aussi mordant, aussi pénétrant que possible. Enfin le Jeune homme fit tout, de son cœur, pour être bien compris.

Après cette séparation, il craignait encore que la Française ne pensât qu’il demeurait pour elle sous ses fenêtres, la porte du jardin s’étant fermée, et lui n’ayant pas de clé pour en sortir.

Cependant, au bout d’une demi-heure d’attente, il fut délivré de sa prison par un hasard auquel il rendit bien grâces, et passa une nuit horrible.

Le lendemain, par le même ciel, dans la même allée, à la même place que la veille, la Française et le Jeune homme se rencontrèrent. L’Anglais et sa fille étaient encore absents.

Vous croyez que le Jeune homme va persister dans ses idées de petite vengeance, en s’approchant de la femme de la cour ; —

Vous croyez qu’il va déclamer contre ces vices de galanterie qui sont la monnaie courante des salons ; —

Vous croyez qu’il se dispose à percer d’ironie les oreilles de celle qui l’écoute ; —

Vous croyez enfin qu’il a beaucoup de fiel à répandre, et qu’il en va dégorger son cœur ; —

Point. Il est plus fou que la veille ; il n’a pas dormi un seul instant ; il aime comme un furieux ; il n’a rien mangé ; il a ses membres rompus, sa bouche sèche, l’haleine en feu ; les regards fixes, la tête lourde et rouge.

La Française, qui voit tout cela, ne rit plus, se trouble d’abord, se remet ensuite pour secourir le Jeune homme qui se mourait. Elle lui prend la main ; — le Jeune homme tombe à la renverse, — un boulet d’émotion venait de le frapper. — La Française alors, oublie le ciel, la terre et son enfant. Elle n’aperçoit plus qu’un être étendu à ses pieds, entr’ouvrant des yeux qui se miraient dans les siens avec une extase singulière. Elle n’a plus de voix qu’en ce souffle qui s’échappe de deux lèvres claquantes, et qui semblent avoir besoin du baume de sa bouche pour calmer leur délire.

Elle relève le Jeune homme, le soutient, l’aide à marcher ; et cela, elle le fait dans un jardin où plusieurs personnes ont droit de circuler ; où l’Anglais peut d’un instant à l’autre se montrer terriblement. Mais elle se sent aimée comme on adore Dieu. Un visage, plus pâle que ses traits, lui fait face. Une espèce de délire la gagne aussi. Elle assied le Jeune homme, se place à côté de lui. Ils se touchent ! —

Une scène muette d’amour, est tout ce qu’il y a de plus parlant au monde. — Oh ! combien alors le Jeune homme et la Française ont d’éloquence ! Oh ! combien leurs mains, en se prenant, font froid et chaud à leur cœur ! Combien est insensé ce qu’ils pensent ! Comme leurs yeux, en se baisant du regard, ont l’air de fous en accès ! Comme leur haleine découle frémissante et entrecoupée ! Comme tous leurs mouvements ont la fièvre ! Et toute chose, pour eux, vacille en tournant ; ils ont le Ciel aux pieds, la Terre à la tête. Un vertige semble les saisir pour les décharner, car ils maigrissent à vue d’œil. Ils font peur, on dirait des Revenants ; — mais ils ont Dieu dans l’âme. Ils s’aiment !

Oh ! oui, ils ont Dieu dans l’âme, et ils le prient ; car l’amour, n’est-ce point une prière continuelle ? Prière de croyance à torrents ; prière qui illumine et centuple tout ; prière qui se jette, ruisselle, brise, brûle et caresse ! —

L’extase étrange des deux amants dura au moins dix minutes, après lesquelles la Française, moins mourante que le Jeune homme, murmura passionnément ces mots :