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ET LA LUNE DONNAIT,

ET LA ROSÉE TOMBAIT


Un inconnu : Xavier Forneret[1]. Ce nom n’a pas même laissé ses initiales sur les grands arbres de la forêt où nous sommes perdus, de la forêt à la lisière de laquelle Racine, ce con, a sa statue grandeur nature, Lamartine, cette vache, a son mausolée de marbre et M. Paul Souday, l’insulteur de Baudelaire, cherche à transporter son tas de fumier couleur du Temps.

Forneret, qui es-tu ? Il nous répond par un poème :


UN PAUVRE HONTEUX


 Quand il n’était pas grand on lui avait dit : « Si tu as faim, mange une de tes mains. »

Il l’a tirée
De sa poche percée,
L’a mise sous ses yeux,
Et l’a bien regardée
En disant : Malheureux !

Il l’a mouillée
D’une larme gelée,
Qui fondit par hasard ;
Sa chambre était trouée
Encor plus qu’un bazar.

Il l’a frottée,
Ne l’a pas réchauffée ;
À peine il la sentait,
Car par le froid pincée
Elle se retirait.

Il l’a touchée
De sa lèvre ridée.
D’un frénétique effroi
Elle s’est écriée :
« Adieu, embrasse-moi ! »

Il l’a pliée,
Il l’a cassée,
Il l’a coupée,
Il l’a lavée,
Il l’a grillée,
Il l’a mangée.

Entre Borel et Lautréamont, il vacille sur la route qui mène en 1835 à certain théâtre dijonnais sur lequel s’agite l’Homme noir.

Qui est Forneret ? Nous ne savons pas. C’est l’homme noir. Quand nous l’avons rencontré : « Et la lune donnait… Et la rosée tombait. » Mais surtout une voix toujours inouïe, qui est celle de l’Amour, déchirait le ciel et la terre.

Forneret ? Un homme que nous avons rencontré dans les ténèbres et à qui nous avons baisé les mains.


À la Direction de la Revue de la Côte-d’Or et de l’Ancienne Bourgogne

La Revue m’ayant fait l’honneur de m’envoyer son prospectus ; de plus, croyant un peu qu’elle m’aurait encore fait celui de m’adresser son premier numéro, si je ne m’étais abonné à elle avec empressement, j’essaie de la remercier par une folie de mon cerveau, et je me tiendrai pour fier si elle veut bien l’accueillir.

« Descendons au jardin, dit un homme de cinquante ans environ. »

Cet homme venait de parler, moitié anglais, moitié français. —

« Je vous suis, répond en bon français, une femme de trente ans.

— « Oui, maman, allons ! ajoute une petite vierge de quatorze années, avec les deux accents et langages du père et de la mère, combinés à ne pouvoir méconnaître que l’enfant avait pour père, l’homme de cinquante ans, pour mère, la femme de trente. »

Tous trois quittent alors un salon flamboyant de bougies, et se dirigent, par un vaste et bel escalier à rampe de bronze et de frêne, vers un jardin tout en feuilles de la présence du mois de mai, tout odorant du miel de la nuit.

La présence de l’Anglais (c’en était un) semblait se reposer sous le calme d’une conscience pure comme les pensées de sa fille. Ses sourcils, n’en faisant qu’un comme une barre noire appuyée sur ses yeux fuyant son front, annonçaient que l’emportement et la brusquerie dominaient son cœur.

La Française (c’en était une) était pâle ; sa tête portait des cheveux couleur peau de nègre, bien luisante et bien foncée. Sa bouche assez mince, triste à demi, semblait désirer quelque chose ; mais on ne savait pas bien quoi. Sa taille, fine et souple comme un ruisseau qui coule, se jouait gracieusement sous les plis de sa robe traînante. On voyait à peine ses pieds ; mais sa main était petite, et son regard donnait chair froide.

L’Enfant n’était encore qu’une enfant qui aime bien son papa, sa maman, puis les fleurs qu’elle leur cueille.

  1. Deux destinées, drame (1831). — 23-35. — L’Homme noir, drame (1835). — Vapeurs, ni vers ni prose (1838). — Sans titre, par un homme noir blanc de visage (1838). — Encore un an de sans titre, par un homme noir blanc de visage (1840). — Pièce de pièces, temps perdu (1840). — Lettre à Victor Hugo (1851). — Lignes rimées (1853). — À Sa Majesté l’Empereur. Passé, Présent, Futur (1858). — Ombres de poésies (1860). — Broussailles de la pensée, de la famille de « sans titres » (1870). — Caressa. — L’infanticide. — Mère et fille. — Rien — quelque chose.