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JOURNAL D’UNE APPARITION

serpentin de papier, comme on en jette dans les fêtes et les bars de nuit.

Ces visites rentrent de plus en plus dans la normale. Pas une nuit ne s’est passée depuis le 16 novembre sans qu’elle vienne et son abstention me causerait probablement un trouble inexprimable. J’ai besoin qu’elle vienne.

Quant à la manière dont elle part, je ne m’en rends, la plupart du temps, pas compte. Je me réveille au matin, sans savoir comment je me suis endormi et avec jusqu’au dernier moment de mes souvenirs de l’état de veille, le souvenir de sa présence.

Il m’est arrivé de rentrer tard et de n’être pas encore endormi quand elle arrivait, mais il ne m’est jamais arrivé de n’être pas encore couché à ce moment. À trois reprises, je l’ai vue partir. J’ai entendu la porte se refermer derrière elle et son pas décroître dans la cour. Une nuit de pluie, j’ai remarqué que ses chaussures étaient tachées de boue.

Enfin, deux fois, j’ai couché ailleurs que chez moi. À deux heures environ, je me suis réveillé et j’ai été torturé par l’idée qu’elle était seule chez moi et que peut-être le feu était éteint. Dans une somnolence voisine de l’anéantissement, j’évoquais mon atelier dans ses moindres détails et elle, seule, assise dans le fauteuil. Cela me causait une telle gêne que désormais je ne coucherai plus ailleurs que chez moi.


Nuit du 16 décembre 1926.

J’avais résolu dans la journée de mettre mon fantôme à l’épreuve en le touchant. Je devais poser ma main sur la sienne. Qu’attendais-je de cet acte ? Je ne saurais le dire, mais j’attendais quelque chose.

Et tout s’est passé le plus normalement du monde. Je crois avoir posé ma main sur la sienne. Elle l’a retirée, mais n’est pas partie. Je dis « crois » car au réveil j’ai douté de l’avoir fait et je me suis trouvé en présence d’un moi-même sceptique et chicaneur. Pour convaincre ce second dont les arguments me désespèrent, j’ai résolu de tuer cette nuit *** avec un poignard malais à longue lame.


Nuit du 17 décembre 1926.

Comment ai-je pu imaginer un acte aussi stupide. Elle est venue et je n’ai rien fait. J’ai trouvé ce matin le poignard près de mon oreiller. Comment ai-je pu croire que je m’en servirais ?


Nuit du 18 décembre 1926.

Et pourtant j’ai voulu recommencer et, au matin, je ne me rappelle pas ce qui s’est passé. Elle est venue et s’est assise. Ce matin, j’ai retrouvé le poignard sur le fauteuil. Impossible, absolument impossible de savoir ce qui s’est passé. Pourvu qu’elle revienne la nuit prochaine.


Nuit du 19 décembre 1926.

Elle est revenue.


Nuits du 20 décembre 1926 au 5 janvier 1927.

Elle est venue chaque nuit, mais le souvenir que je garde de ses visites est de moins en moins précis. Je ne saurais plus dire au réveil si elle s’est assise sur le lit ou sur le fauteuil.


Nuit du 6 janvier 1927.

Pour la première fois depuis le début de ses visites, je ne puis affirmer que *** est venue cette nuit. Il me semble bien qu’elle est arrivée, mais je ne puis faire la différence entre la perception de cette visite et l’habitude que j’en ai prise.


Nuits du 6 au 24 janvier 1927.

Je doute de plus en plus qu’elle continue à venir me voir. Certains jours j’en suis presque certain mais le lendemain je suis presque persuadé que mes souvenirs me trompent.


Nuit du 25 janvier 1927.

Elle n’est certainement pas venue cette nuit et pourtant j’étais éveillé à l’heure habituelle de son arrivée et je ne me suis pas endormi avant le petit jour.


Nuit du 26 janvier 1927.

Elle n’est pas venue.


Nuits du 27 janvier à fin février.

Elle ne vient certainement plus. J’ai continué à m’éveiller à l’heure de sa visite journalière et, au début, j’avais sans la voir l’impression de sa présence. Puis cette impression a disparu. Les dernières nuits j’ai dormi sans m’éveiller.


Maintenant.

Elle ne reviendra plus.

Robert Desnos.


LE CADAVRE EXQUIS :

« La vapeur ailée séduit l’oiseau fermé à clé. »

« L’huître du Sénégal mangera le pain tricolore. »

« La grève des étoiles corrige la maison sans sucre. »

« Le mille-pattes amoureux et frêle rivalise de méchanceté avec le cortège languissant. »

« Le chlore en poire fait parler les sénéchaux atroces. »

« Le Bottin, oui le Bottin sensuel, pourfendra Isabeau de Bavière. »

« Monsieur, Madame et leurs enfants décolorés se perdent volontiers dans les sentiers avec les théorèmes rapides.  »