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JOURNAL D’UNE APPARITION

leurs dans la maison), on ne me croit pas. J’ai la crainte constante qu’on ne déduise que moi seul ai pu tirer ; mais au contraire, plus l’enquête avance, plus il est certain que seul j’étais là, moins on m’accuse — tant il est prouvé qu’un homme seul ne saurait participer à une action objectivement définie. Pour l’aspect extérieur de l’affaire, il s’agit du doute apporté par le fait qu’au moment où le cadavre militaire a été apporté dans le sous-sol, je me trouvais dans une chambre située à l’étage supérieur. Il en résulte que bien que je sois fatalement le coupable, que tout le monde me suspecte, rien ne permet de m’accuser, de me condamner.

Pourquoi surgit tout à coup une solution ? Il paraîtrait qu’un Serbe ou un Bulgare ayant eu à se plaindre du général Gouraud en Orient, se serait vengé. Mais comment est-il entré là ? Pourquoi un Serbe quand il y a tant de militaires français ? Et puisque je sais si sûrement que c’est moi le coupable.


JOURNAL D’UNE APPARITION


La vie nous réserve encore des surprises en dépit des déceptions dont elle se montre prodigue à notre égard. Le merveilleux consent encore à poser sur notre front fatigué sa main gantée et à nous conduire dans des labyrinthes surprenants. Nous errons à sa suite parmi des parterres de fleurs sanglantes, nous constatons de surnaturelles présences dans des paysages incroyables, mais vienne le jour où tant de merveilles nous donnent enfin des ailes. Comme Icare nous mourons de notre fortune ou, comme Dédale, nous atterrissons dans un pays moins beau et que désormais nous nous obstinons à considérer comme la seule réalité.

Qu’on nous parle alors du labyrinthe fameux et des aventures que nous y courûmes, nous hésiterons à le décrire autrement que comme un songe-creux.

Et quelque jour, considérant les moignons brûlés de ce qui fut nos ailes, témoignage des merveilles que nous vîmes et instrument d’une pseudo-délivrance, nous nous attendrirons sur nous-mêmes et nous maudirons le scepticisme du souvenir et la tendance de l’homme à confondre le présent avec la réalité.

J’échapperai à cette déchéance. Le labyrinthe que j’ai perdu, j’y pourrai rentrer à nouveau, j’y rentrerai un jour proche ou lointain. Mais je me refuserai toujours à classer parmi les hallucinations les visites nocturnes de *** ou plutôt je me refuserai, le mot hallucination étant admis, à le considérer comme une explication de ce qui, pour le vulgaire, est peut-être un phénomène, mais qui ne saurait l’être pour moi.

*** est réellement venue chez moi. Je l’ai vue. Je l’ai entendue. J’ai senti son parfum et parfois même elle m’a touché. Et puisque la vue, l’ouïe, l’odorat et le tact se trouvent d’accord pour reconnaître sa présence, pourquoi douterais-je de sa réalité sans suspecter d’être de faux semblants les autres réalités communément reconnues et qui ne sont en définitive contrôlées que par les mêmes sens. Comment reconnaîtrais-je à ceux-ci le pouvoir de m’éclairer dans certains cas et de m’abuser dans d’autres ?

Il s’agit d’ailleurs moins pour moi de faire admettre comme réels des faits normalement tenus pour illusoires que de mettre sur le même plan le rêve et la réalité, me souciant peu, au demeurant, que tout soit faux ou que tout soit vrai.

R. D.


JOURNAL


Du 10 au 16 novembre 1926.

Mes sommeils sont devenus plus lourds, plus profonds, plus épais. Au réveil, j’ai non pas le souvenir des rêves que j’ai faits, mais le souvenir que j’ai rêvé, sans pouvoir les préciser. Si je tente de les retrouver dans ma mémoire, je me heurte à d’épaisses ténèbres dans lesquelles des ombres imprécises font de grands gestes vagues. C’est un état que je connais déjà pour l’avoir éprouvé à plusieurs reprises, notamment à l’époque des « sommeils surréalistes ».


Nuit du 16 novembre 1926.

Changement brusque dans la nuit du 16 novembre. Au lieu du trou profond où je sombrais les nuits précédentes quand je m’endormais, je flotte dans une somnolence vague et euphorique. La nuit est très claire et mon atelier en est doucement éclairé. Bien qu’endormi et rêvant sans pouvoir faire la part exacte du rêve et de la rêverie, je garde la notion du décor. Vers deux heures du matin, je m’éveille complètement. Le silence siffle de cette façon particulière que l’on remarque pendant les insomnies. Un instant se passe puis, très distinctement, j’entends qu’on ouvre ma porte bien que celle-ci soit fermée à clef (je le constaterai au matin). J’entends les gonds rouler et même le bruit très particulier du