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tirés sont comme des bandes d’élastique sur le point d’être déchirées, comme des chaudières avant l’explosion, n’est-ce pas ? On aperçoit la constitution intérieure de la matière qui doit enfermer des mystères ! Ou une montre dont on mettrait soudain le mécanisme à nu et qui s’arrêterait alors ! »

Mon amie dit : « Je ne comprends pas ça ».

Et elle ajouta : « Si, pourtant. Ces gens-là se compliquent tout. Je n’en comprends pas plus ; mais ils se compliquent tout. »

— « Oui, Maria ; c’est surtout cela : ils se compliquent tout. Ils ne savent rien pénétrer, rien débrouiller ; ils se replient en eux-mêmes, se prennent à leurs propres pièges, perdent les bons et simples moyens. »

— « Il faut simplifier, répondit Maria, sans quoi l’on ne peut vivre. »

Silence. — Puis mon amie dit : « Et le poète, notre bon ami ? Comment est-il ? »

— « Lui ? Qui le prend au sérieux se trompe. Qui ne le prend pas au sérieux se trompe. Voilà ! »

— « Qu’en pensez-vous ? »

— « On peut se représenter que toutes, toutes les choses soient opprimées, flétries, déformées par d’autres choses immuables qui, pourtant, sont et impressionnent ! De quelle façon se développerait un animal, une plante, si, à chaque instant, ils n’étaient écrasés par la perfide gravitation, attirés par la pesanteur et rapetissés ? Comment se développerait l’homme s’il n’avait sa pénible digestion et les autres choses ?… Mais le poète, Maria, semble posséder quelque chose en soi qui n’est pas soumis à la gravitation universelle et à la fatale loi. Je crois que ce sont les extases de son âme qui le transportent au travers des lourdeurs. Et comme, toute sa vie, il est affranchi, il sent plus distinctement l’oppression des autres. Les poètes sont comme un acrobate sur les muscles duquel la pesanteur n’agirait pas et qui serait soudain frappé de la pitoyable tenue des autres hommes, de leurs genoux de carton et de leurs vertèbres rigides ! Naturellement, lui, il pourrait tout vaincre, poser les corps sur ses hanches, comme les joncs que le mouvement balance dans l’étang !

« Beaucoup de choses sont en nous, Maria, qui attendent l’éclosion. Il y a des femmes qui, peut-être, rempliraient leur mission en restant assises, resplendissantes de nudité, sur de hauts sièges où les lèvres lasses des pèlerins de la vie viendraient toucher leurs pieds roses. Et d’autres qui, muettes, regarderaient muettement ; et tous seraient doux et sages, et se trouveraient eux-mêmes et trouveraient leur paix ! Le poète prophétise les empires futurs !

« Mais nous, Maria, nous nous développons dans une température douce et modérée, et la chaleur de l’extase ne nous serait pas très utile ; peut-être nous ferait-elle du mal. Nous devons nous y résigner. Nous ne sommes pas des fleurs