Page:La Nouvelle revue. vol. 104 (Jan.-Feb. 1897).djvu/72

Cette page a été validée par deux contributeurs.
64
LA NOUVELLE REVUE.

Bientôt la fortune des armes tourna. Le fort Duquesne tomba et sur ses ruines fut fondée, en l’honneur de William Pitt qui devenait à ce moment même premier ministre, la ville de Pittsburg. On reprit Louisbourg, dont les constructions furent rasées au profit d’Halifax, sa nouvelle voisine. Crown-Point et Niagara furent occupés définitivement et Wolfe, enfin, mit le siège devant Québec. Toute cette période serait digne de trouver un historien de génie qui sût en faire ressortir la sauvage beauté. Les détails s’y fondent en une série de tableaux tour à tour poétiques et grandioses. Le vaste continent émerge à peine des brumes du passé et déjà l’on se dispute sa possession sans connaître encore ses limites ni ses richesses. La civilisation y est toute jeune et déjà elle est teinte de sang innocent. On s’y bat avec une magnifique vaillance pour des patries qui ne regardent pas, au nom de souverains indignes des trônes qu’ils occupent. Des hameaux se forment qui, cent ans plus tard, seront devenus de grandes villes pleines de bruits d’usines et d’agitation humaine ; et des forteresses édifiées au poids de l’or rentrent dans le néant au point qu’aujourd’hui quelques pierres en indiquent seules l’emplacement. Dans les campagnes neigeuses passent les silhouettes des Peaux Rouges courant sur leurs snow-shoes une course fantastique ; tandis que les Algonquins, dont la guerre réveille les instincts primitifs, dévorent, au clair de la lune, le chef Miami qu’ils ont capturé, le gentilhomme chrétien, leur allié, Montcalm, appelle sur ses amis la protection divine et Wolfe, dont l’âme puissante dompte les souffrances, marche au trépas en donnant un poétique regret au bonheur entrevu qui l’attend au delà des mers. La mort qui procure à ces deux adversaires, si dignes l’un de l’autre, un même tombeau, épargne avec un soin jaloux le héros privilégié qui, vainement, s’expose à ses coups. Washington sort indemne de tous les combats ; il échappe à tous les périls. Au début de cette guerre qui doit lui aplanir les voies pour son œuvre à venir, on l’a chargé de porter l’ultimatum aux avant-postes français. Il est parti de Virginie avec un unique compagnon et s’est enfoncé dans la forêt. Il n’a encore que vingt et un ans. La mission est dure et dangereuse. Il faut, sans ressources et sans défense, traverser des territoires hostiles, monter jusqu’au lac Érié. Au retour, les rivières ont débordé ; une neige fondante détrempe le sol. Les chevaux ne peuvent plus avancer. Les deux hommes continuent leur route à