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LE FORMATION DES ÉTATS-UNIS.

histoire et faillit amener le démembrement de son pays interrompit le rêve grandiose dont il se berçait ; mais voici que le rêve a repris et s’est développé. Depuis qu’un matin, la brise, en dissipant les brumes du Mississipi, lui a permis d’entrevoir les horizons ensoleillés de la plaine immense, le sens de la grandeur a pénétré en lui : grandeur matérielle d’abord ; il a voulu un recul de frontières, des conquêtes, de la gloire militaire, puis des richesses qu’on ne puisse compter et des progrès qui échappent à la statistique. Mais les coloniaux, ses ancêtres, avaient poursuivi une autre grandeur, toute morale ; et peu à peu leur dessein suprême s’est de nouveau fait jour à travers ses préoccupations, à lui. Il s’est assimilé leur idéal ; il veut maintenant construire la nation modèle, la nation qui résoudra les grands problèmes, fera l’accord des âmes et redressera les écarts du destin. Prenez l’Américain le moins accessible aux exaltations du chauvinisme, le plus sceptique, le plus égoïste, vous trouverez encore en lui cette conviction que l’Amérique est le porte-flambeau de l’univers et qu’elle possède l’antidote pour toutes les maladies sociales. De là à vouloir frapper l’empreinte américaine sur toutes choses, il n’y a qu’un pas. L’Amérique, c’est convenu, rajeunira les arts, éclairera la philosophie, créera la véritable sociologie, fécondera la littérature, guidera les sciences et surtout réformera la religion. Tout cela, du moins, elle le tentera. Sa résolution s’est inscrite en caractères géants sur les édifices de cette exposition de Chicago qui fut un poème naïf d’ambition nationale. Mais quelle grandeur dans cette naïveté ! Depuis le moyen âge, on n’avait jamais vu l’âme humaine aussi sûre d’elle-même et aussi certaine d’avoir une réponse prête pour toutes les questions, une solution pour toutes les difficultés. La Renaissance n’alla pas sans une pointe de scepticisme qui, du reste, était une force de plus ; elle raillait doucement sa propre foi et souriait de ses propres enthousiasmes. Depuis nous avons connu des peuples qui croyaient, qui croient encore à leur mission ; mais s’ils en exagéraient un peu la portée, ils acceptaient d’en spécialiser le caractère. Ici, rien de semblable. L’Amérique est une rénovation générale, c’est un point de départ nouveau, tout un credo. Ce credo, chacun le récite quotidiennement et beaucoup sans doute seraient prêts à le confesser avec leur sang ; mais ils ne veulent pas de sang. Ceci encore est caractéristique. Les rénovations d’ordinaire se font par la mort. Or un sentiment