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nom, mais c’est en réalité celui qui leur convient) ne s’en trouvent guère renforcés, tandis que les populistes voient leur puissance s’accroître démesurément et c’est à ce moment qu’ils poussent Jackson au pouvoir. Toute cette génération subit inconsciemment l’influence de Napoléon. Le lien entre la Révolution et l’Empire n’apparaît nulle part aussi clairement qu’ici. Les admirateurs des Jacobins reportent leur admiration sur l’Empereur, qui n’est, à leurs yeux, qu’un Jacobin plus fort que les autres ; et cette force les enchante. Ils aiment la brutalité du glaive courbant la loi, de l’homme matant ses semblables. Si Napoléon vaincu se fût enfui aux États-Unis, ils lui eussent taillé un empire entre le Mississipi et le Pacifique. En attendant, Jackson est leur homme ; ils le réélisent, non pas à cause de son honnêteté et de ses talents, mais parce qu’il est général et ne souffre point d’opposition à ses volontés. Va-t-on le réélire une troisième fois ? Le moment est critique ; les traditions coloniales s’effacent. Un mouvement sécessionniste s’est produit dans le Nord. C’est Washington qui sauve le pays. Il y a trente-huit ans qu’il repose dans sa tombe de Mount-Vernon, sur la colline au pied de laquelle le Potomac roule ses flots dorés. Mais sa mémoire est demeurée si vivante, ses dernières paroles sont incrustées si profondément dans les âmes, une telle vénération s’attache à tout ce qui vient de lui qu’à la seule pensée de violer une tradition établie par lui, l’opinion s’insurge. Van Buren est élu ; c’est un politicien. Après lui, on hisse au pouvoir le général Harrison, qui a le double mérite d’avoir battu les Indiens à Tippecanoe et d’avoir passé sa prime jeunesse dans une masure. Il meurt peu après et conformément à la Constitution, c’est le vice-président John Tyler qui lui succède. Puis viennent James Polk, Taylor, celui que Daniel Webster appelait « un ignare officier de frontière », Fillmore, Pierce, et à la veille de la guerre civile, Buchanan. Tous ces hommes sont des politiciens doublés souvent de soldats de hasard. Les électeurs apprécient qu’ils aient fait le coup de feu et acquis le droit de porter un bout d’uniforme. On ne leur en demande pas davantage. Ils sont médiocres, oubliés bientôt et dignes de l’oubli. On s’étonne qu’ils aient été placés à la tête d’une si grande nation, qu’ils aient exercé des fonctions si considérables et joui de pouvoirs si étendus. Car il ne faut pas voir en eux des serviteurs obéissants de la foule qui les a élus. Sans doute depuis Jackson, le président est plus dépen-