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— Va-t’en !

— Marianne, mon amie.

— Va-t’en !

Il n’obéit pas, mais il se laissa glisser sur le tapis, appuyant au niveau de mon visage son visage blêmi par l’émotion, adouci, comme illuminé d’une pâleur d’aube. Longtemps, il me laissa pleurer. Peu à peu mes bras, roidis pour le repousser, se détendirent. Sa main se posa sur mon cœur, j’étais domptée. Alors, il parla humblement :

— Tu me pardonnes ?

— Hélas l

— Est-ce un regret ou un reproche ?

Je répondis avec amertume :

— Je ne suis pas moins coupable que toi.

— Coupable ! Pauvre enfant ! Que dis-tu ? Pourquoi et de quoi serais-tu coupable ? Je ne t’avais tendu aucun piège, nous n’avions rien prémédité. Oh ! Marianne, ce moment est venu parce qu’il était inévitable. Malgré nos colères et nos craintes, depuis si longtemps, nous nous aimions !

Je secouai la tête. Il reprit :

— Ma bien-aimée, ne le nie pas, ne t’accuse pas, ne te méprise pas. Le passé a triomphé malgré nous. Pourtant, je n’espérais plus rien. Après bien des luttes, après bien de cruelles et lâches pensées, je m’étais habitué à l’horreur de vivre sans toi. J’avais juré de me guérir de cet amour — ma torture ! Tu l’as compris, tu sais pourquoi je suis devenu féroce envers tous, pourquoi j’ai entrepris cette folle et périlleuse polémique, cherchant ce vertige du danger. Stupide que j’étais ! Est-ce qu’on t’oublie, toi, quand on t’a connue ? Ah ! si tu savais combien peu me tenaient au cœur ces haines, ces ambitions, passions artificielles jetées, sans le combler, dans le grand vide de ton amour. Guillemin, Sidley, les journaux, le duel, Mme de Charny que j’ai quittée, mes amis, mes ennemis, les insultes, la mort, qu’est-ce que tout cela ? Je suis si loin de tout et de moi-même ! Il fallait donc toutes ces douleurs, toutes ces fautes, et mon abaissement et ta pitié pour que nous fussions l’un à l’autre, déchirés, sanglants, mais réunis.

Je levai les yeux vers lui. Une exaltation farouche précipita ses paroles :

— Non, nous ne pouvions oublier ! Oh ! tant de larmes, tant