Page:La Nouvelle revue. v.103 (Nov-Dec 1896).djvu/820

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gurait dans une beauté inconnue, un front creusé, des lèvres ouvertes et palpitantes, des yeux pleins de lumière et de pleurs…

— Ô Marianne chérie ! J’ai tant souffert ! Et je souffre !

Son étreinte se resserra. Ses bras pesèrent sur mes hanches et je me trouvai assise au bord du lit défait, Maxime toujours prosterné, appuyé maintenant sur mes genoux, dans l’écrasement d’un désespoir effroyable. Son front pressait l’étoffe tout humide et froissée de ses sanglots. Il se cramponnait à mon corps comme un naufragé à la suprême épave. Et je ne voyais plus que sa chevelure brune, son cou nu, ses épaules que de grands frissons secouaient.

Et soudain, tout s’abolit dans ma mémoire, un gouffre se creusa où sombrèrent et les colères et les rancunes et le médiocre amour d’antan, et le Maxime d’autrefois, et la Marianne de naguère, pâles fantômes que je ne reconnaissais plus. Une seule réalité persista : la douleur d’un homme et vers cette douleur mon âme vaincue s’inclina. Car celui-là, seul, m’avait aimée !… Que m’importait sa vie extérieure, lorsqu’après m’avoir poursuivie, étreinte, perdue, après tant de frémissantes approches, tant de fuites et de retours, l’amour, survivant à ses ambitions dévastées, le jetait pleurant sur mes genoux ?… Ma misère pardonnait tout à sa misère et l’ancienne consolatrice rouvrait ses bras.

Il releva sa tête, l’appuya à mon épaule, et d’une voix brisée :

— Ne me renvoie pas encore !… laisse-moi là !… Je ne te dirai rien qui t’offense… Je me calmerai peu à peu… Un moment de faiblesse… C’est que je pars demain et que je ne te reverrai plus.

— Qui sait ?

— Hélas !… Oh ! tu ne me repousses pas… tu as pitié… tu me crois, tu crois que je t’aime… Tu as vu, tout d’un coup mon cœur a éclaté… Ce départ… cet adieu… Ah ! chère, chère, garde-moi près de toi, encore… Je suis sans force, sans volonté… Si tu savais quel poids énorme m’accable… mais ta petite main, en touchant mon front, m’allège et me soulage et me guérit… Je reconnais ton sein… tes cheveux… J’oublie… je rêve… Ah ! rester là… oublier… dormir…

Sa voix expira… Déjà, je ne voyais plus son visage. Le soir complice nous versait les philtres de l’ombre… Les nuances, les contours s’évanouissaient dans la nuit où la blancheur confuse